Quitter Ziguinchor l'après-midi en ce samedi de début juin n'était pas une bonne idée. Avant de me rendre dans le prochain pays, il faut que je retire suffisamment d'argent pour survivre en Guinée-Bissau et en Guinée(-Conakry). J'ai lu que l'infrastructure est très pauvre et je ne suis pas sûr de trouver un distributeur qui fonctionne.
Cependant, trouver un bon distributeur à Ziguinchor pendant le week-end n'est pas une mince affaire. J'en ai trouvé beaucoup de fermés et j'ai trop souvent été induit en erreur par la population locale. Finalement j'ai trouvé celui de la SGBS, en service, qui a essayé de me tromper encore une fois avec un message “incapable d'exécuter la transaction” sans mentionner que le seul problème était en fait qu'il n'y avait plus de papier pour imprimer le reçu... L'argent liquide est roi ici, alors les efforts pour le récupérer en valent la peine.
Les rues dans le centre de Ziguinchor sont toutes défoncées. On dirait que la ville a été abandonnée, alors que le Sénégal en général est plutôt en bon état. Ayant perdu bien assez de temps, je décide d'abandonner ma journée de vélo et je retourne là où je logeais pour ensuite aller visiter le seul point d'intérêt de Ziguinchor, l'Alliance Franco-Senegalaise.
Le bâtiment de l'Alliance intègre de façon très intéressante une bibliothèque, une cafétéria, des salles d'étude et des salles de réunion, le tout dans un dédale parsemé d'éléments de décoration colorés. Il y a un intervenant à l'extérieur qui explique la philosophie, depuis les grecs jusqu'aux penseurs allemands, devant une foule massive et très attentive. Il parle bien et parvient à glisser, entre Platon et Socrate, le fait que les philosophes contemporains sont racistes en ce qu'ils ignorent la philosophie africaine. Il explique que le philosophes grecs ne connaissaient pas grand chose avant de visiter l'Egypte, où ils ont appris tellement de choses et ont influencé à leur tour la philosophie européenne tel que nous la connaissons maintenant. Ainsi, “l'homme africain est [via l'Égypte] le père de la philosophie européenne“.
Il est tombé des cordes cette nuite, ce qui faisait beaucoup de bruit sur les toits en tole. Mais en fin de compte, c'est finalement plus facile de dormir avec ce bruit plutôt qu'avec les grandes fêtes organisées dans presque tout les batîments.
Le lendemain matin, je suis sur la route de bonne heure pour faire les 20 derniers kilomètres de la Casamance jusqu'à la frontière avec la Guinée-Bissau. La zone est apparemment minées et la nature est aussi verte qu'avant Ziguinchor. J'atteins rapidement le poste frontalier de Mpack. Là, je rencontre des employés chinois, venant du Sud. Ils me disent qu'ils ont vu une photo de moi il y a peu. Je n'y crois pas trop, tous les cyclistes du coin se ressemble, avec un vélo bien chargé, des vêtements sales et un visage poilu, mais ils connaissent quand même Wang (Boren), le chinois qui tente de faire un “ record du monde de voyage à vélo” que j'ai rencontré à Mboro.
Le poste frontalier de Bissau est calme. Les officiers qui traitent mon entrée ne portent pas d'uniforme, mais un tee-shirt d'un sponsor néerlandais et un autre sur lequel on peut lire “L'amour tue lentement“. Presque instantanément, la route devient très étroite et la végétation semble prendre le pas sur elle. Il n'y a plus ce petit bas côté en gravier pour les piétons, ou pour n'importe qui sur un deux roues qui ne peut pas rivaliser avec les autres véhicules pour rester sur l'asphalte.
Je ne suis plus un Toubab dans ce pays, qui a été une colonie portugaise jusqu'en 1974. Je suis un “Branco”. Les guinéens parlent le Kriolu, un créole portugais. Parfois les enfants au bord de la route chantent une chanson à mon attention, en répétant “branco pelele“, ce qui signifie “blanc de peau”. Je ne suis pas fan de tous ces noms, la seule salutation marrante que j'ai eu c'était quelque chose comme “Salut je vais bien !” (avant que j'ai eu le temps de dire quoi que ce soit) prononcé d'une voix très haut perchée.
La première ville est São Domingos. C'est aussi un bon endroit pour prendre un petit déjeuner portugais. Je ne suis pas trop surpris ni perdu à la vue des aliments proposés sur les étals dans la rue: Boumedienne et jus de bissap, niébé, poisson, cebolla (oignon), pain et petit pois. C'est un mélange de plusieurs langues mais maintenant je prends la quasi totalité de mes repas le long de la route, alors il n'y a rien de mystérieux.
Certaines personnes ont plus l'air brésilienne qu'africaines. Je vois aussi beaucoup d'églises, je n'en ai pas vu autant depuis l'Espagne, même si l'Islam est la religion la plus pratiquée en Guinée-Bissau. Je trouve un distributeur de billets automatique dans la petite São Domingos, démontrant ainsi que le Lonely Planet Afrique de l'Ouest que j'ai téléchargé uniquement pour les références (sachant qu'il apporterait plus de confusion que d'aide) et qui prétend qu'il n'y pas de distributeurs, même dans la capitale Bissau, est complètement dépassé. Au niveau des opérateurs de téléphonies, Orange et présent, ainsi que MTN.
Je suis la route principale pour Bissau. C'est un beau chemin situé au milieu d'une végétation luxuriante. Les logements dans les villages ou les maisons individuelles au bord de la route sont toujours très basique : un grand rectangle recouvert de tôles ondulées. C'est pourquoi à un moment donné, je suis surpris de voir un magnifique pont traversant une rivière, là où je m'attendais à une traversée archaïque en ferry. Ponts et les tunnels sont surprenants dans un pays où les routes sont à peine bitumées. Celui-ci a été achevé en 2009 et financé par l'UE. Il y a un banc de méduses énormes juste en dessous et une barrière de péage qu'on m'ordonne de contourner.
Les températures sont assez chaudes pour me faire boire une pleine bouteille de 1,5 L presqu'en une seule fois. Si je fais une pause et laisse mon vélo sous le soleil, la selle devient bouillante et agit comme un fer à repasser quand je m'assois dessus. Je peux communiquer en Kriolu en apportant quelques ajustements à mon espagnol, du genre remplaçer le “ll” et quelques “s” par “ch“. Les anacardiers sont omniprésents et les fruits rouges pendent au-dessus de ma tête la plupart du temps. Sous les arbres, la terre est occupée par des fourmis géantes, parfois par des cochons et des cueilleurs de fruits.
Juste avant d'arriver à la ville de Bula, prêt à m'arrêter après 110 km de vélo et sur le point de trouver un endroit où rester, les policiers du point de contrôle de douane ne me laissent pas aller plus loin et m'offrent une chambre dans leur maison. J'accepte et c'est le bon choix car pas plus de 10 minutes après avoir mis mon vélo sous le toit, nous regardons ensemble les orages et la pluie balayer la route.
Comme prévu, il faut beaucoup trop chaud pour dormir sous un toit de tôle ondulée, beaucoup plus chaud que dehors. Je sue constamment et je me réveille plusieurs fois trempé, au son d'une sauterelle géante, d'un crapeau buffle ou de quelque autre animal qui se balade dans les cloisons de la maison.
Heureusement, la pluie ne se poursuit pas sur le lendemain. Comme je suis proche de la capitale Bissau, mon plan est d'aller visiter la ville pendant la journée et d'aller dormir dans la campagne. Bissau est située dans une impasse après 20 km de route. Si le ferry sur le Rio Geba fonctionnait, je pourrais traverser et continuer sur la partie sud du pays, mais ce n'est pas le cas et je m'en tiendrai donc à la rive nord.
Peu de temps après avoir traversé un autre pont neuf, je m'arrête à une pompe à eau pour remplir mes bouteilles. Comme d'habitude, je suis entouré d'un groupe de filles (elles sont toujours autour des pompes à eau, avec une qui pompe et les 19 autres qui papotent) jusqu'à ce qu'un homme vienne à moi. Il parle français. Domingo a grandi à Dakar.
“Il y avait un cycliste comme toi il y a deux semaines. Nous avons roulé ensemble et il est resté pendant deux nuits chez moi. Tu dois venir chez moi aussi ! Attends, je vais prendre mon vélo…” dit-il.
Et c'est comme ça que j'apprends que Johannes, que j'ai rencontré à l'ambassade libérienne de Dakar, a pris la même route et a rencontré Domingo de la même manière. En fait, même si l'Afrique est énorme, quand un cycliste veut se déplacer autour du continent sur des routes intéressantes, avec peu de circulation, un peu hors des sentiers battus, sans pour autant passer son temps à pousser le vélo sur des pistes ensablées ou embourbées, il n'y pas tant de choix que ça et la route la plus évidente apparaît rapidement.
C'est la providence qui nous a fait nous rencontrer, Domingo et moi, et nous pédalons ensemble jusqu'à Bissau. Il me montre la grande maison qu'un joueur de football du FC Nantes (probablement Ca) est en train de faire construire, alors qu'au même moment nous faisons attention à ne pas nous faire renverser par les gros camions transportant des noix de cajou. L'entrée de la ville de Bissau regroupe tout un tas d'entrepôts de noix de cajou.
La Guinée-Bissau est le 3e plus gros producteur de noix de cajou d'Afrique, après le Nigeria et la Côte d'Ivoire, et le 8e dans le monde. La part des noix dans les exportations guinéennes est plus que significativeavec 93 %.
Je casse un 4ème rayon au moment où nous arrivons chez lui. Je décharge les sacoches et nous partons pour une visite de la ville. Les routes à Bissau sont loin d'être agréable, mais la ville est relativement petite et nous facilement nous faufiler à travers le trafic. Nous sommes autorisés à entrer dans le port de commerce avec nos vélos, même si ce n'est normalement autorisé que pendant les vacances. Mais les photos sont interdites, donc nous garderons pour nous l'expérience consistant à pédaler au milieu des tours de stockage Maersk pour nous-mêmes. Peut-être que certains de ces conteneurs cachent de la cocaïne pour des millions ou des milliards, car Bissau est connu pour être le point d'entrée de la drogue d'Amérique du Sud avant qu'elle soit redirigée vers l'Europe par voie terrestre. Il y une pléthore d'articles sur la situation en Guinée-Bissau (de la cocaïne utilisée pour baliser un terrain de football) et plus généralement dans les Narco-États d'Afrique de l'ouest.
Il y a seulement 2 cargos arrêtés au port et cela révèle le niveau économique de la Guinée-Bissau, l'un du plus bas PIB par habitant dans le monde. Depuis son indépendance, le pays n'a jamais connu de stabilité politique ni de croissance économique soutenue.
Le PAIGC est le parti historique de l'indépendance. Les lettres signifient Partido Africano da Independência da Guiné e Cabo Verde, car la Guinée-Bissau et le Cap Vert se sont battu contre les mêmes colons portugais. De nos jours, les deux sont des pays indépendants, mais le nom original est resté en Guinée-Bissau. À côté du siège du PAIGC se trouve le bâtiment présidentiel, un lieu “touristique” de la ville car il est en ruines et habité par des chauves-souris. Mais celui que je vois est tout neuf. En fait, il vient juste d'être rénové (par les chinois).
Il est impossible de trouver une carte postale en ville, et aussi difficile de trouver quelqu'un qui sait ce qu'est une carte postale. Apparemment on ne peut en acheter qu'au bureau de poste qui est fermé et aucuns des magasins de fournitures ou encore des nombreuses librairies que nous avons visités n'en vendent. Impossible également de trouver des autocollants du drapeau du pays pour mon vélo.
Je visite l'ambassade guinéenne pour tenter d'apporter une correction sur mon visa. J'ai reçu à Banjul un visa à entrée unique et j'aurai peut-être besoin d'une double entrée si je décide de ne pas passer directement du Liberia à la Côte d'Ivoire. Les postes frontaliers sont parfois fermées à cause des échanges de tirs entre l'armée et les rebelles. Wang, le cycliste chinois, a été pris entre deux feux et m'a dit qu'il avait du être escorté par l'armée française et chinoise. Si ce cas de figure se présente, je devrai re-rentrer en Guinée, dans sa partie la plus orientale, afin de pouvoir poursuivre ma route.
Le consul souligne le fait que n'importe quel visa de 2 mois devrait s'accompagner d'au moins 2 entrées. Cela signifie que le consul à Banjul a fait une erreur, mais il n'y a aucun moyen d'y remédier en dehors de Conakry. Je demanderai au bureau d'immigration de Labe, une grande ville guinéenne sur mon itinéraire.
Enfin, le seul succès de ma journée, c'est-à-dire que le seul élément de ma liste de chose à faire que je peux barrer en toute confiance, est que j'ai réussi à obtenir les paramètres APN pour ma carte SIM à l'espace client de MTN; maintenant j'ai accès à internet sur mon téléphone, mais c'est beaucoup plus cher que tout ce que j'ai vu jusqu'à présent. Au total, nous avons pédalé 30 kilomètres à rien qu'à l'intérieur de la capitale. C'est pas mal, mais ca manque évidemment d'infrastructure pour une capitale : pas de supermarchés ou de magasins agréables, aucun bâtiment nouveau, rien que des rues anciennes ou détruites. Je ne sais pas comment l'électricité est acheminée en ville (ou même si elle est achmeminée tout court), mais tout le quartier de Domingo n'a pas d'électricité. Ne sortez pas la nuit sans votre lampe de poche!
Nous cuisinons du riz et du poisson pour le dîner avant d'entamer une revue des clips vidéos que nous avons sur nos téléphones. Ils me montrent Prakatatumba de l'Angola, dont les chansons sont populaires par ici, alors que de mon côté, j'ai encore (allez savoir comment) du Korikki et le Night of Fire de Hinoi Team's sur mon téléphone...
Domingo est à la recherche de contacts afin de revendre des marchandises de qualité en provenance d'Europe et nécessaires en Afrique, où elle se revendent à trois foix leur prix d'occasion en Europe. Cela va des bonnes vieilles voitures (Mercedes 250 et vans) au 4 × 4, en passant par les ordinateurs portables, les moteurs de bateau pour les pirogues, etc.. C'est le même genre de business qu'on trouve au Sénégal et au Mali, sauf que c'est un créneau qui est loin d'être aussi saturé en Guinée-Bissau.
Chouette de te lire….avec cette fois des idées, odeurs, images et sons plus concrets de ce tu vis, des ambiances que tu rencontres et des paysages que tu traverses !
J’ai aussi un peu galéré pour trouver un ATM fonctionnel avec des sous à Zig, mais je n’ai pas atterri dans la même rue que toi ;P
Par contre, ai arpenté les mêmes rues aux trottoirs défoncés et aux maisons délabrées, le port et les rives du fleuve avec les pélicans, sous une chaleur humide écrasante, mais en passant entre les gouttes.
Bon courage pour la suite de la route à la saison des pluies !!!