L'atelier de Dakar

Le dicton “La vie commence la où s'arrête votre zone de confort” s'est avéré correct jusqu'ici, mais il oublie de préciser que la notion de zone de confort est délicate. Nicolas m'a laissé camper dans la salle de conférence, où j'ai pu remiser mon vélo, et où j'ai l'électricité et un accès internet. Cela fait un mois que je porte des tongs et que je pédale uniquement sur de courtes distances pour aller chercher à manger. Je suis dans une zone de confort et je ne suis pas très motivé à l'idée de charger mon vélo à nouveau et de pédaler dans la poussière.



A midi, j'ai fini de remballer toutes mes affaires et je quitte définitivement le campement pour rejoindre Dakar, poussé par la nécessité de procéder à l'entretien de mon vélo que je n'ai pas pu réaliser correctement hier. Cela fait bizarre de porter à nouveau des chaussures fermées. Je garde mon t-shirt à manches courtes. Je portais des manches longues dans le Sahara pour me protéger du soleil mais je suis passé aux manches courtes pendant les vacances.

Les premiers mètres passés sur la selle se passent mal. Est-ce que c'est normal que le vélo soit si lourd ? Est-ce que j'ai réellement traversé des montagnes là dessus ?

Avant même d'avoir quitté Mboro je suis interrompu par un jeune homme chinois. C'est un cycliste aussi. C'est ça 4ème année sur la route, sur un total prévu de 10 ans. Son but est de battre un record du monde. Je ne sais pas exactement lequel mais il a une lettre du gouvernement chinois pour le prouver. Sans parler un mot de français ou d'anglais, cela doit être long de passer 10 années dans ces pays étrangers...

Dakar est située à 100 km. Avec ce départ tardif, j'ai l'intention d'atteindre le début de la zone d'urbanisation et de camper, afin d'avoir beaucoup de temps le lendemain pour entrer dans la ville. On ne peut jamais prévoir le temps qu'il faut pour entrer dans une grande ville. Je me souviens en Espagne, quand je suis arrivé à Valence en fin d'après-midi. La ville était juste là, j'avais l'impression d'y être déjà. Mais en fin de compte j'ai pédalé 2 heures de nuit, entre les routes et les zones industrielles, en essayant de trouver un itinéraire vers le centre ville. Je ne veux pas répéter cette mauvaise expérience étant donnée que Dakar ne peux pas être mieux que Valence de ce côté là.

Je suis la route côtière, par le biais de Bayakh, Notto, jusqu'au Lac Rose. La route est très mauvaise, une vraie collection de nids de poule. Nous l'avons empruntée auparavant avec le Ndiaga Ndiaye, le taxi brousse, et ça a prit une éternité. Le minivan conduisait en dehors de la route, sur les deux traces qui sont situées de chaque côté de la bande (étroite) d'asphalte, projetant de la poussière dans les yeux de tous les passagers.

Cependant, avec le vélo, c'est un vrai plaisir : la route est déserte, hormis les taxis de brousse que je croise de temps en temps. Je peux slalomer entre les nids de poule sans freiner et rester sur l'asphalte. Lentement, j'ai oublié le poids que je dois déplacer, et je m'y réhabitue. Les nombreux villages sont pleins d'enfants qui me font signe en criant “Bonjour Toubab !“, ou en émettant des sons impulsifs qui expriment la surprise de voir un Toubab de si près sur la route. J'ai l'impression d'être sur une course avec plein de spectateurs.

Les enfants sont beaucoup plus agréables que sur les routes principales, mais quelques “donne-moi ton vélo" ou "give me the money” de temps en temps me rappellent que je ne suis pas sur une course. Au lieu de cela, j'ai surement du pédaler jusqu'ici dans le seul but de distribuer de l'argent et, en fin de compte, donner mon vélo.

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Le métier le plus utile ? …

Je fais très peu d'arrêts et j'atteins rapidement les portes de la banlieue de Dakar, là où les camions apparaissent soudainement en grand nombre au milieu des étals de marché qui envahissent la route. Je me rappelle un article du blog geocyclab mentionnant une piste cyclable de 30m de large, et voici qu'elle apparait sous mes yeux: la nouvelle autoroute de Dakar s'ouvre devant moi. Au lieu d'emprunter un pont pour l'enjamber, je peux prendre la rampe d'accès fermée en passant entre les deux gros rochers bloquant l'accès. Et je me retrouve seul sur l'autoroute qui doit entre en service très prochainement. Il y a déjà une partie en service près de Rufisque, mais le reste, de Rufisque à Dakar attends encore la mise en place de quelques marquages aux sol, des canaux de drainage et des péages.

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Une autoroute vide juste pour moi

Je fonce sur Dakar grâce à ma route spéciale j'atteindrai bientôt la capitale. Au bout de l'autoroute je rencontre un autre cycliste qui va travailler et il me guide à travers les routes encombrées du centre ville. Par chance, le soir, la plupart des voitures quittent la capitale, du coup ce ne n'est pas trop dangereux d'entrer en ville passant par Hann. Mais une fois arrivé à HLM, Liberté, Sacré-Cœur, c'est une vraie jungle sans lois. C'est tout juste si les voitures avancent plus vite que les piétons. Les carrefours giratoires sont les endroits où le trafic est le plus statique. Je me déplace prudemment en m'assurant que chaque conducteur me remarque et j'atterris à l'auberge où j'ai déjà séjourné par deux fois. Sain et sauf! La journée s'est bien mieux passée que ce que je pensais et je suis soulagé.

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Rues de Dakar

Toutefois, le dortoir de l'auberge est fermé aujourd'hui. Je ne peux rester là. Je pourrais prendre une chambre pour 20’000 CFA, mais je suis un peu fâché avec l'hébergement à Dakar, plein de chambres hors de prix avec des insectes et quelques gouttes d'eau chaude pour la douche. En comparaison, le Maroc c'était le paradis bon marché, avec des chambres à 50 dirhams dans chaque ville.

Donc, je me retrouve à Dakar avec une heure de lumière du jour et une nouvelle mission: trouver un correct pour dormir. J'erre autour de Médina, le quartier du magasin de vélos, car on m'a dit qu'il y avait des endroits pour dormir dans le coin. Mais je n'en trouve aucun. Il fait de plus en plus sombre et je suis toujours à l'extérieur. Je dois garder un œil sur tout, les gens, les animaux, les voitures, les taxis, tout en cherchant des panneaux indiquant un hébergement. C'est un exercice très intense et stressant. Après plusieurs jours passés à Dakar, je me sens en confiance dans la ville, mais je garde à l'esprit que je ne devrais pas trainer autour de la Corniche pendant la nuit. Le quartier ne manque pas d'histoires de crime. Toujours à vélo, on m'envoie de plus en plus loin et l'éclairage public commence à prendre le pas sur la lumière ambiante. Je décide de m'arrêter pour frapper à une grande porte métallique sur laquelle est écrit “Orphelinat et Foyer ”. L'endroit n'est pas un lieu d'hébergement répertorié mais il semble heureusement y avoir des chambres à louer pour financer leurs activités.

Là, je découvre que mon idée de tester la chemise à manches courtes n'en était pas une bonne.

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Photo sans trucage

Maintenant au moins, je suis à proximité de la boutique et je pourrai y aller tôt demain matin.

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Petit déjeuner de Dakar : sandwich frites oignons et nescafé

Ce que j'aime Dakar ce sont les Nescafé sur roues omniprésent. On en trouve ailleurs qu'à Dakar, mais pas en si grand nombre. Ici ils sont à tous les coins de rue. Ils ont de l'eau chaude et proposent des sachets de Nescafé (avec de la mousse comme le thé mauritanien) pour 50 CFA en 20 secondes. Avec 50CFA on obtient une petite tasse à Dakar, alors qu'on a un grand gobelet à l'extérieur.

Je me dirige vers le magasin de vélos semblable à un Decathlon qui s'appelle CitySport. Ça n'existe qu'à Dakar et ils vendent de nombreux articles de GoSport. Le garde me raconte l'histoire du propriétaire actuel, un libano-sénégalais qui a démarré à Dakar avec un magasin, et qui est maintenant un multi-milliardaire vivant à Monaco et possédant beaucoup d'énormes magasins du même genre partout en Afrique, et actionnaire de GoSport.

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Les articles de vélo sont apparemment 50 % ou 100 % plus cher que dans un GoSport en Europe, mais je ne vient pas pour ça. Je passe les 4 heures suivantes avec le technicien responsable des vélos, Youssouf, et c'est un plaisir de travailler avec quelqu'un qui ne répare pas les vélos au marteau et au burin. Il ne connait pas la marque Rohloff, mais avec mes connaissances théoriques, nous arrivons à inverser le pignon. Dans un premier temps, ça ne voulais pas se détacher du tout, contrairement à la vidéo où ça avait l'air simple. Nous nous y sommes mis à 3: un pour tenir la roue, un avec la clé de chaine insérée dans un long tube pour augmenter le bras de levier, et un avec la clé à molette avec un levier rallongé aussi.

Le pignon porte les marques évidentes des kilomètres : les dents sont creusées sur un côté. La chaîne doit être changé, parce qu'elle s'est usée en même temps que le pignon et elle glisserait si on la mettait sur le côté non usé de ce dernier. Par ailleurs, la chaîne est composée de 100 liens et le pignon de 16 dents, donc les liens internes et les liens externes rencontraient toujours les mêmes dents. Quand je l'ai enlevée et remise il y a quelque temps, la chaine n'arrêtait pas de sauter car les liens ne tombaient plus sur les dents de pignons auxquels ils étaient habitués. Donc c'est important de bien tout changer en même temps.

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Un pignon sculpté au bout de 11000 km

En plaçant l'ancienne et la nouvelle chaîne côte à côte, nous constatons que la vieille chaîne s'est allongée de 1,2 %. Ça fait environ 0,1 % pour 1000 km.

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Ancienne et nouvelle chaîne (compatible KMC Rohloff)

On en profite pour change les pneus et installer deux Schwalbe neufs, huiler tout ce qui doit l'être, ajuster la symétrie des freins, redresser la roue arrière, tourner le pédalier en arrière (pour retendre la chaîne) et le remettre dans son logement (le fait de le tourner petit à petit l'a fait sortir d'un mm) et changer l'adhésif qui protège le porte bagage du frottement avec les sacoches.

Pour finir, nous fabriquons des patins de frein en collant des coussinets de caoutchouc sur les vieux sabots de frein Magura. Rien ne garanti que ça marchera, mais ça devrait suffire en attendant que je puisse trouver de nouveau patins Magura.

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Dans l'ensemble je suis très satisfait de ces 4 heures passées à l'atelier vélo du CitySport de Medina. Youssouf à été super et je le recommande à tous les cyclistes qui auraient besoin d'aide avec leur équipement.

Il est maintenant 15h et ma mission consiste à sortir vivant de Dakar. Malheureusement, il est déjà tard et la circulation quitte Dakar plutôt que d'y entrer, alors la concurrence va être rude. Je pourrais emprunter l'autoroute depuis le centre ville, mais ça à l'air dangereux. Alors je rejoins la roue en passant par Hann.



Dans l'opération, je perds mon petit drapeau du Sénégal. Où alors il a été récupéré par quelqu'un depuis une voiture ou un Ndiaga Ndiaye à un feu rouge. C'était un drapeau fait maison, tellement mal fait (mauvaises bandes et mauvaises couleur pour l'étoile) qu'il aurait très bien pu être un drapeau du Cameroun, de la Guinée, du Mali ou encore du Ghana, étant donné qu'ils se ressemblent tous.

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Obélisque de Dakar

La route par le biais de Hann est merdique, comme prévu. Un combat avec les taxis et les nids de poule. Parfois je suis chanceux et il y a un énorme camion ou une charrette coincé dans un rond-point, ce qui me libère la route pour de longues minutes. Une fois au rond-point à l'entrée de Pikine, je saute hors de la route vers le chemin secret menant à l'autoroute fermée, m'autorisant ainsi une nouvelle fois un trajet sans encombre et privilégié autour de la banlieue. Les nombreux gardes sénégalais d'Eiffage ne gardent rien du tout et j'ai tout le loisir de faire mon chemin au milieu des enfants, des gros camions et des machines qui travaillent sur la route. Ils sont encore en train de faire le marquage et les canalisations d'eau.

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Voie ferrée à Pikine

Par ailleurs, un autre signe de supériorité d'OpenStreetMap sur Google Maps, est que le premier a une ligne en pointillés pour cette autoroute pas encore ouverte. Je dois la quitter à Rufisque, là où elle est déjà opérationnelle. Je me retrouve coincé dans les bouchons. Personne ne respecte les règles de priorité sur les rond points, du coup ils font plus de mal que de bien à la circulation. J'évite tout ça en empruntant les ruelles étroites de la ville qui ont un certains charme, avec leur vieux bâtiment coloniaux dissimulés, similaires à ceux de Saint-Louis, en retrait de la route principale.

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Marché et garages de Rufisque

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La ville se termine par l'énorme cimenterie Sococim et j'atterris ensuite à Bargny. Comme la circulation devient légèrement plus fluide, je dois réagir rapidement aux coups de klaxon des véhicules derrière moi, qui signifient “pousse-toi de là car je ne vais pas me déplacer pour toi“. Bargny est la dernière ville de la banlieue. Deux kilomètres plus loin, je tourne à droite et j'entre instantanément dans un monde de silence. Je ne suis qu'à une centaine de mètres de la route infernal Dakar-Pikine-Rufisque-Bargny-Thiès mais c'est un tout autre monde. Les voitures sont remplacées par des chèvres et des vaches. C'est silencieux. J'ai l'impression que tout ralenti. Je réalise rapidement que j'ai ce sentiment car je regarde simplement la route devant moi, alors que juste avant mes yeux ne pouvaient jamais se fixer sur un point. Ils devaient sans cesse faire l'aller retour entre les côtés, le rétroviseur, le sol, et la route devant moi. Le stress et la tension accumulée s'estompent, comme le ventilateur de mon ordinateur portable qui ralenti lorsque j'ai fini de monter une vidéo et que le processeur ne travaille plus.

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Usine de Sococim

Cela fait du bien d'être à nouveau sur les petites routes, et c'est encore sur un vélo qui respire le neuf. Enfin ça c'est dans ma tête car le noir brillant des pneus a déjà viré au rouge grâce à la poussière et aux routes de latérite. Il y a seulement 30 heures j'étais de mauvaise humeur à l'idée de quitter ma zone de confort et pas vraiment impatient de lutter à nouveau dans la poussière. Et maintenant je suis de retour dans l'aventure nomade à 100%.

Le premier village que je croise est Sendou. Pour un petit village organisé autour d'une piste de sable, il y a bien trop de restaurants et de chambres à louer. Je vois aussi beaucoup de visages pâles conduisant des voitures. Un garde m'explique que ce spectacle insolite est du aux nombreux Toubabs qui achètent des maisons sur la côte autour de Mbour. La plupart des maisons qui donnent directement sur les plages propres appartiennent à des européens. Elles sont grandes, ce qui explique le fait que beaucoup ont des chambres à louer et font restaurant.

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Toubab Dialaw

Je m'arrête pour la nuit dans le prochain village de Toubab Dialaw, attiré par le panneau indiquant une authentique pizza italienne.