Nouadhibou

L'électricité est encore coupée ce matin, donc je dois encore passer mon tour pour la douche. Comme la ville entière est victime de cette coupure il n'y aura donc aucun internet café d'ouvert. Il ne me reste plus qu'à marcher dans le coin et visiter les boutiques.

20130321-IMG_2021
Un coiffeur responsable

La ville est très peu attrayante, la route principale ressemble à une allée de souk et les autres rues à un bidonville. Le sable est partout dans les rues et dans les bâtiments, les chèvres mangent les déchets qui sont répandus partout et des sacs en plastique survolent les petites maisons. Le premier magasin que je visite a du chocolat, mais uniquement des marques espagnoles de deuxième classe. Pas grand chose d'importé, sauf ces Pringles inutiles qui se vendent vraiment partout. J'en ressors avec de faux Pépitos pas trop mauvais. Je peux enchaîner sur mes tâches pour la journée : échanger de l'argent, trouver une carte SIM locale et un pneu de meilleur qualité que mon pneu de secours chinois.

20130322-IMG_2022
Lycée de Nouadhibou

20130322-IMG_2023
Les rues

Le taux de change dans la ville, pour le dirham, n'est pas meilleur qu'à la frontière. Ici, je dois négocier pour obtenir le meilleur taux que j'avais là-bas. Pour la carte SIM locale, il y a une offre pour moins de 2 €, comprenant la carte, quelques minutes de communication sms 30 jours d'internet limité à 20Mo/jour. Et internet par la 3G va très vite ici. L'opérateur reconnaît même mon Nokia N900 pour les paramètres de point d'accès et tout fonctionne en moins d'une minute, de manière beaucoup plus efficace qu'avec n'importe quel opérateur en Europe. Après le blocage momentané de l'accès à mon compte Google (celui-ci demandant à valider cette connexion suspecte via un appareil mobile depuis la Mauritanie) tout fonctionne bien. Le seul inconvénient est que chaque fois que je sors le téléphone de ma poche, même pour quelques secondes, l'écran se couvre de poussière de sable. Toute l'atmosphère est chargée de poussière de sable.

20130322-IMG_2027
Route vers le Port Autonome

Je marche dans la zone industrielle autour du Port Autonome. Lorsque la route est bordée de sable et d'ordures uniquement, on pourrait se croire sur Terre après la chute d'une météorite. Outre l'exportation de minerai de fer, Nouadhibou a d'autres actifs, y compris la pêche, pour une population de 100 000 habitants. Cependant la ville semble très défavorisée pour un 2e centre économique national. Les hommes riches, enveloppés dans leurs boubous bleus et blancs, ont tous l'air semblables, et les chinois conduisent des 4×4. Je n'ai vu aucun chinois au Maroc, et maintenant il y en a plein. Ils ont un contrat avec le gouvernement pour l'exploitation de l'océan pour la pêche, ainsi que pour la rénovation du port. Cela explique la présence de plusieurs restaurants chinois dans la ville, les quelques magasins, la prostitution illégale et le fait que la totalité des marchandises dans les magasins semble être fabriqués en Chine.

20130322-IMG_2032
Dépôt Chinois

De retour dans le petit centre ville, où le français est beaucoup utilisé dans les magasins comme la langue des affaires entre les mauritaniens et l'importante population sénégalaise, je trouve enfin trouver le supermarché "pour étrangers". Il y a des réfrigérateurs pour les produits laitiers, des étagères propres comme dans un supermarché normal, et on y trouve des choses incroyables : du chocolat Milka, des Chips Ahoy avec de gros morceaux de chocolat et même du fromage même. Mais ils sont vendus à un prix prohibitif: respectivement 2,5€ , 5 € pour le petit paquet et 7,5 € les 500 g, alors qu'il est possible d'avoir un plat dans un restaurant pour moins de 1 €.

20130322-IMG_2035
Le Port Artisanal

20130322-IMG_2033

20130322-IMG_2036
Les ânes mangent les déchets en attendant la cargaison de poisson à amener en ville

Une note positive: le pain. Il n'a rien à voir avec le pain rond Marocain. Tout les magasins vendent des baguettes à 0.25€ et elle sont très bonnes (en tout cas bien plus que le pain espagnol). Quand vient la nuit et ses coupures d'électricité, le shopping dans l'obscurité, éclairé avec un téléphone portable, n'est pas la meilleure option. Je trouve enfin des pneus de vélos dans un bric à brac où l'on vends tout ce que le chinois peuvent fabriquer en plastique. J'ai seulement deux options, un penu chinois et un pneu indien, donc pas mieux que mon pneu de rechange à 60dh acheté à Dakhla. Il n'y a presque aucun deux roues dans la ville, probablement à cause du sable, donc je devrais déjà être content d'avoir trouvé des roues de 26".

20130325-IMG_2054
Le meilleur magasin pour vélo en ville (ils vendent aussi des jeux pour Sega Megadrive)

Jusqu'à présent les télévisions que j'ai vues ici était plus souvent branchées sur France 24 que sur Al Jazeera. Étrangement, personne ne trouve bizarre le fait d''avoir accès à des centaines de chaines de TV internationales et à un réseau 3Gg très rapide, et le fait de devoir subir dans un même temps des pannes d'électricité quotidienne. Le vent souffle si fort et constamment que l'endroit serait idéal pour installer un parc d'éoliennes.

Pour la première fois depuis l'Espagne aussi, je vois des femmes qui travaillent dans les restaurants. Au Maroc, je n'ai pas vu une seule serveuse dans tout le pays. Là-bas, tout travail impliquant un contact avec les clients est fait par des hommes. Même balayer le sol dans les cafés. Tout les magasins, les coiffeurs, les cafés... tout est géré exclusivement par les hommes. Ici, beaucoup de ces entreprises sont dirigées par des femmes sénégalaises.

Il semblerait que je sois le seul touriste de la ville. Je vois un couple d'espagnol, ici pour le travail, mais aucun autre européen. C'est un peu gênant quand je discute avec les gens, si on me demande combien de temps je reste et quelle route je vais prendre et quand, parce que même si l'axe principal Nouadhibou-Nouakchott est sécurisé, ce n'est pas l'endroit le plus sûr pour une balade à vélo. Les enlèvements et la guerre au Mali ont complètement détruit l'industrie du tourisme ici. Il n'y a pas de clientèle pour les magasins de souvenirs et les guides. Il fait un peu froid le soir et une veste n'est pas de trop. Je croyais que l'alcool était interdite dans l'ensemble de la République Islamique de Mauritanie, mais il est apparemment toléré puisqu'on en sert dans une discoteca espagnole de la ville. Ce n'est pas le genre d'endroit où je vais de toute façon, et les pièces cassées de mon vélo sont mon principal soucis.

20130323-IMG_2046
On ne trouve pas que des tendeurs et des prises électriques dans les magasins Chinois.

Le lendemain, je change le rayon cassé et monte le pneu chinois en remplacement du Schwalbe usé. C'est la première fois que je le fais et bien que Nouadhibou ne soit pas le meilleur endroit pour mettre la théorie en pratique, tout se passe bien. Ma chambre se transforme en atelier (ce n'est pas la première fois), mais c'est tellement mieux de travailler sans le vent qui souffle en permanence et le sable qui vole partout. J'en profite pour faire un nettoyage complet, il n'y a pas de meilleure option pour passer une journée avec un vélo qu'avec une brosse à dents et une aiguille (si l'on excepte le fait de l'utiliser pour pédaler bien sur). J'arrête quand la pièce est saturée de vapeurs de lubrifiants et je suis heureux que l'électricité ait tenu le coup pendant toute la journée d'aujourd'hui.

20130323-IMG_2040
Mini atelier

Je me rends compte aussi que je transportais une chambre à air de rechange avec une valve Schrader, ce qui ne me sert à rien étant donnée que ma jante n'accepte que des valves Presta. C'est une bonne chose que je n'ai pas eu de crevaison sur la route. Après un petit bain de diesel pour la chaîne, je suis satisfait et soulagé lorsque je remonte le tout puisque tout s'adapte et ressemble à un nouveau vélo. Mais alors que j'effectue le dernier tour de clé, je casse l'axe de serrage rapide de la roue arrière. Je me vois donc obligé de trouver une autre pièce de rechange ici.

Le lendemain, je visite le peu de magasins qui vendent des pièces de vélo, tous chinois, où les commerçants ne semble pas savoir à quoi pourrait bien servir une telle pièce. Je trouve enfin un axe de serrage rapide à 3€ et je le prends pour l'essayer immédiatement. De retour à l'auberge je fais un petit tour et ça à l'air de fonctionner. Alors je vais acheter un autre axe, le dernier disponible, ainsi qu'un autre pneu, pour m'assurer d'avoir une pièce de rechange pour toutes les pièces chinoises de mon vélo. Je fais baisser le prix en échangeant ma valve Schrader, qui est inutile pour moi. Je l'ai achetée en France et elle a été fabriquée en Europe (c'est écrit République tchèque dessus), donc cela fait une grosse impression. Si j'avais la boîte originale, prouvant encore plus la non-chinoiseté de l'objet, je pourrais probablement la vendre pour plus qu'elle ne coute chez décathlon. Et maintenant cela fait sûrement une grosse impression parmi les autres chambres à aire de la boutique, où certaines boîtes ont “Made in China” imprimé sur un côté, “Made in India” de l'autre côté …

Après avoir rattrapé mon retard sur l'actualité en regardant la TV parler des guerres et des rebelles en Afrique (ce qui sera malheureusement au menu dans les pays suivant), je fais un test en chargeant le vélo à moitié pour voir si le rayon et l'axe de serrage rapide pourront supporter la route jusqu'à Dakar. Je ne suis pas très content de ce vélo hybride allemand-chinois, mais il faut que çà marche. Après tout, j'ai fait 2600km en Thaïlande sur un vélo chinois au rabais et j'ai survécu (contrairement au vélo). Alors aujourd'hui je me rends à Cansado, une petite ville au sud de Nouadhibou, un peu plus au sud vers le bout de la péninsule. Elle a été construite par les français dans les années 60 juste pour avoir un port privé servant à l'export de minerai de fer. C'est le terminus du plus train du monde.



Mais la principale raison de ma visite est le cimetière de navire. On dit qu'il y a plus de 300 bateaux échoués dans la baie de Nouadhibou car il n'existe pas de loi (ou alors elle est facile à contourner) empêchant d'abandonner un vieux navire poubelle à cet endroit.

20130324-DSC_7720
Le port privé de la SNIM pour l'export de minerai de fer

20130324-DSC_7724

Je me souviens avoir pensé qu'un parc éolien ne serait jamais inutile ici, et j'en vois enfin un. Mais ces petites turbines de 275KW ne semblent être là que pour la société minière de la SNIM.

20130324-DSC_7728

Les quelques épaves à flot que je vois dans la baie, entre Nouadhibou et Cansado, sont décevantes. Elles sont petites et pas très nombreuses. Je reprends alors la route jusqu'au bout de la péninsule, au Cap Blanc. Cela fait un aller simple de 20km depuis Nouadhibou. La route goudronnée se termine au port privé de la SNIM avec son grand complexe clôturé de SinoHydro. Je dois prendre une piste contournant le complexe industriel pour faire les 8 derniers kilomètres. La piste est parfois sablonneuse, parfois rocheuse et non balisée. L'expression du garde au Cap Blanc me fait penser qu'il n'a jamais du voir beaucoup de vélos venir jusqu'à lui.

20130324-DSC_7731
Ancienne raffinerie derrière le port de minerai de fer

20130324-DSC_7735
La fin, assez difficile, de la péninsule

La pointe de la péninsule est un parc protégé, appelé Cap Blanc / Ras Nouadhibou. C'est 1200 ouguiyas pour une visite. Elle est abrite une colonie de phoques-moines, une espèce en voie de disparition avec moins de 500 individus dans le monde.

20130324-DSC_7811
Le phare de Ras Nouadhibou

Mais la chose la plus intéressante est l'épave de l'United Malika, un cargo de 100 mètres de long reposant sur le sable. On le voit très bien sur Google Maps et son ombre est clairement trop (d'ailleurs, WikiMapia est un outil merveilleux pour explorer et apprendre sur les choses du monde caché). Le navire fait naufrage ici en 2003 et à l'adresse suivante (lien cliquable) on peut voir des photos de lui sans la rouille.

20130324-DSC_7745
Le United Malika

20130324-DSC_7741
20130324-DSC_7752
20130324-DSC_7768
20130324-DSC_7769
Day141-visage-130324
20130324-DSC_7801
20130324-DSC_7806

Sur les cartes, la péninsule est fractionnée verticalement entre le Maroc et la Mauritanie, le Maroc occupant la partie extérieure (la côte sur l'océan Atlantique) dans le prolongement du Sahara occidental, et la Mauritanie possédant la partie intérieure (baie de Nouadhibou). Mais dans la pratique, toute la région est administrée par la Mauritanie, l'armée marocaine étant au niveau de Guerguerate, 50 km au nord, où la frontière est minée et « horizontale ». Il n'y a rien qui appartiennent vraiment au Maroc ici, sauf la petite ville de Lagouira qui est indiquées sur les bornes depuis Tan-Tan, à 1200km d'ici, et est connue par les Marocains comme étant l'extrémité sud du Maroc. Tout en marchant le long de la côte dans l'espoir de repérer ces rares phoques-moines, je passe sur les terres appartenant au Maroc, puis reviens en Mauritanie.

Maroc sur le côté gauche, Mauritanie sur le côté droit

20130324-DSC_7814
La tête d'un phoque moine ?

Dans l'après-midi, le vent se lève et c'est comme si il pleuvait sable. Ce sont des conditions terribles pour être à l'extérieur, à la fois pour mes yeux et mon appareil photo. Le vent du Sahara a toujours été très fort (ce serait une torture de le traverser du sud au nord), mais ce qui se passe à Nouadhibou est encore un cran au dessus. Un masque de ski serait tout à fait approprié.

20130324-DSC_7813
Les fenêtres du centre pour visiteur

Je dois toutefois reprendre la piste pour rentrer avant la nuit. Cela signifie prendre la piste de fin-du-monde avec le sable volant au-dessus de moi et essayer de gagner, mètre après mètre, de la distance contre le vent. Je suis presque aussi lent que l'homme qui marche au milieu de ce paysage martien surréaliste. Alors que je commence à discuter avec lui, il me dit qu'il est le gardien de l'épave. Un gardien pour une épave ? Oui, parce que sans gardien, les voleurs viendraient voler le fer. En conséquence, il vit dans une épave, avec cuisine, radio et TV. Très cool, mais probablement moins cool si cela dure depuis 10 ans déjà...

Les voleurs s'en sont aussi prit au minerai de fer de la SNIM avant qu'elle n'installe une clôture autour de son terrain. C'est un grand complexe à clôturer, étant donné qu'il inclut une boucle de retournement pour le train, longue de 2 à 3 km. Le garde me dit quelque chose que j'avais déjà entendu auparavant, tout l'argent du minerai de fer (ainsi que le pouvoir politique du pays) va aux Blancs (c'est-à-dire les Mauritaniens Arabes) et il ne reste rien pour les Noirs (ceux qui parlent le Hassani, l'arabe locale, et encore moins pour ceux qui ne le parle pas).

Revenir à la route goudronnée et effectuer les 10 km jusqu'à Nouadhibou me prend beaucoup d'efforts et de temps, mais je suis de bonne humeur sachant maintenant que mes pièces chinoises ont survécu à 16 km de mauvaise piste. Ça devrait être OK pour traverser la Mauritanie sur du bitume jusqu'à Dakar.

Je fais un dernier arrêt pour visiter les tours à canon françaises construites ici sous la domination française afin de se protéger contre les espagnols (qui contrôlaient le Sahara occidental). Elles sont très cool et comprennent de longs tunnels que j'aurais bien explorés si j'avais eu une lumière plus puissante.

20130324-DSC_7823
Les tours à canon françaises et les tunnels

20130324-DSC_7821
À l'intérieur d'une tour à canon

20130324-DSC_7827
20130324-DSC_7828
Avec le train de la SNIM chargé de minerai de fer pour l'exportation en arrière plan

À la fin de la journée, mon estomac crie famine. Au lieu d'un petit tour d'essai il a du supporter une longue et difficile expédition. Je termine cette journée par un coca-cola frais, un rinçage de mon visage pour enlever le sable et une coupure de courant.

20130324-IMG_2052
Nouadhibou