Encore un peu d'Anti-Atlas jusqu'à la côte

Je suis réveillé par Hassan à 7h. Une heure plus tard, j'ai tout remballé et je suis déjà sur la route. Cela me permet de voir le soleil se lever sur Azaghar n’Irs et illuminer progressivement le canyon. Les femmes se mettent en route pour aller aux champs, et certains hommes sont déjà au travail sur le côté de la route.


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Le village d'Imgoune

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J'arrive à Ouzoune à 9h30 juste quand la première boutique du marché ouvre pour le petit déjeuner. J'ai déjà parcouru 20km. En chemin, j'ai rencontré des filles qui étaient étonnamment prolixes. Elles voulaient des bonbons, de l'argent, pourquoi pas mon appareil photo, ou un mariage. Pour tenter de me convaincre elle m'ont montré des photos d'elles sur leurs téléphones portables où elle sont bien habillées, avec les cheveux détachés et des lunettes de soleil.

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La place du marché d'Ouzoune à 9h30

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Barçaoui est partout

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Comment se trouver une fiancée sur la route

De Ouzoune à Igherm la montée est difficile, mais j'essaie de l'apprécier en tant que probable dernière ascension en Afrique. Le soleil chauffe et j'avance lentement.

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Presque au sommet! Je jette un coup d’œil en arrière sur le chemin parcouru

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Après l'ascension il y a encore 20km pas tout à fait plats pour atteindre Igherm.

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AVERTISSEMENT : un col peut en cacher un autre

Une fois arrivé à Igherm je m'offre deux portions d'intestins de chèvre en récompense. Cela change un peu des tajines. Je suis maintenant prêt à entamer la descente que les gens m'ont décrite comme "ça descend tout le temps jusqu'à Tafraoute". Tafraoute étant située à 85km, je doute que la descente soit ininterrompue, mais la route s'annonce tout de même facile. En réalité c'est tout le contraire. La route n'est jamais plate et ne cesse d'osciller entre 1700 et 1900m. Par contre il fait beau et le paysage est superbe. J'ai parfois l'impression de traverser une étendue sans fin de collines jaunes. Parfois un village et des champs verdoyants surgissent au détour d'un virage. D'autres fois ce sont des amandiers en fleur. La plupart du temps cependant, je ne vois que des pierres.

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L'Anti-Atlas occidental

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Issil, un village tranquille

Au cours de la dernière heure, baignant dans les tons chauds du soleil couchant, je croise seulement deux motos, et il n'y a quasiment personne sur le bord de la route. C'est comme si je pédalais après la fin du monde, enchaînant les montées et les descentes, sans jamais en voir le bout. Cela fait maintenant 10h que je suis en selle et mes jambes tournent mécaniquement. Mon dos est en sueur dans les montées et il sèche lors des (trop brèves) descentes.

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Solitaire et magnifique

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Au moment critique du coucher du soleil, quelques kilomètres avant le village de Tiguemine, je suis une petite piste jusqu'à ce que le terrain devienne assez plat et les pierres assez petites pour pouvoir camper. C'est difficile de trouver un endroit sans pierres ici, mais je tombe sur un arbre au pied duquel elle se font plutôt rare. Les amandiers sont souvent plantés le long des lits de rivières asséchées. Je ne sais pas quand est-ce qu'ils reçoivent de l'eau mais ça à l'air de fonctionner d'une façon ou d'une autre.

Même si j'ai choisi mon lieu de campement avec soin, invisible depuis la piste qui est elle même à l'écart de la route, je me débrouille quand même pour tomber sur deux jeunes qui se baladent dans le coin. Le Maroc est un pays qui a l'air complètement vide la plupart du temps mais on fini toujours par tomber sur un randonneur/un berger/une femme en train de ramasser des trucs au sommet d'une colline.

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Campement

Alors que je suis sur le point de m'endormir, j'entends quelques chose roder autour de ma tente. Je suis d'abord surpris, étant donné qu'il ne "devrait" rien y avoir, puis je suis effrayé car cette chose est suffisamment grosse pour déplacer des pierres, et finalement je suis intrigué par le "sssshhhhhwwwwpp sssshhhhhwwwwpp" que j'entends, je sors de la tente pour voir de quoi il s'agit. Comme il y a une colonie de grosses fourmis sous l'arbre le plus proche, je m'attends à voir un fourmilier, cet animal qui mange des fourmis grâce à sa langue. Même si je doute qu'on en trouve dans cette partie du monde, je ne vois pas ce que ça pourrait être d'autre. Bien que la pleine lune brille, je ne vois rien qui bouge. Je jette quelques pierres là où il m'a semblé entendre du bruit puis je retourne me coucher.

J'ai beaucoup moins peur des chiens ici qu'en Espagne, où ils étaient agressifs et dangereux. Ici ils sont plutôt peureux. Ils reçoivent souvent des pierres de la part des locaux et s'enfuient en courant.

La façon de gérer les déchets et tout aussi simple que la façon de traiter les chiens: mettez vos déchets dans un sac plastique, nouez le sac, et balancez le aussi loin que possible, derrière un mur ou de l'autre côté de la route.

Je met mon chèche dès le matin, le soleil tape déjà fort. En plus de faire économiser de la crème solaire c'est également très utile pour conserver l'humidité des lèvres. Le premier jour où le soleil à commencer à être fort, dans les gorges du Ziz, mes lèvres se sont fendues et j'ai mis cinq jours à les soigner à coups de baume à lèvres. Maintenant que j'utilise le chèche, plus de problèmes.



Le premier village que je traverse se trouve juste derrière la colline, il s'appelle Tiguemine / Tighermine. C'est là qu'habitent cinq petits enfants, de futurs bandits de la route qui arrêtent même les camping cars pour quémander n'importe quoi. Ils me demandent des cigarettes. Les anciens du coin, assis là, leur lancent des pierres, comme aux chiens, pour les tenir éloignés du temps que je fasse quelques emplettes au magasin.

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Et ça continue, encore des montées et des descentes dans ce paysage désolé

Mon objectif d'ici midi est d'atteindre la ville de Tafraoute que l'on m'a beaucoup recommandée. La route oscille toujours autour de 1700m mais les montées prennent 5 à 10 fois plus de temps que les descentes, du coup j'ai plutôt l'impression de grimper de manière générale.

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Les routes les plus difficiles offrent souvent les plus belles vues, alors cela me fait (parfois) oublier à quel point c'est fatiguant

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Amezzaourou

Une borne kilométrique annonce "Tafraoute 18km". C'est une grosse déception car d'après mes calculs, je devrais me trouver à moins de 10km de la ville. Je suis certain de mes calculs et de ce que j'ai lu sur les bornes précédentes, mais à chaque fois que deux routes se croisent on dirait qu'ils mélangent les cartes et redistribuent au hasard les kilomètres indiqués sur les bornes.

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Le point positif est que ces derniers 18 km sont en fait une grande descente qui travers un paysage fantastique. Les pierres et les collines jaunes sont moins jaunes, plus découpées et les nombreux arbres apportent du contraste. J'atteins enfin Tafraoute où je m'attable avec une tajine pour deux.

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Descente : le départ

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En arrivant en haut de l'impressionante vallée de Tafraoute

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Quinze kilomètres comme ça …

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Le spectacle qu'il m'est donné de voir alors que je mange est la chose la plus choquante que j'ai pu voir ces derniers jours, plus encore que les gamins qui arrêtent les voitures pour demander des choses normalement réservée aux adultes. La ville est remplie de personnes âgées blanches portants des shorts. Et au Maroc (si j'en crois ce que j'ai vu) il n'y a absolument personne qui ne porte des shorts. Même parmi les enfants, je n'ai vu personne avec les jambes découvertes au delà des chevilles. Et tout à coup, la moitié des gens qui sont dans la rue ont les jambes, les bras et les épaules découvertes( et plus souvent rouges que blanches). Je ne suis même pas sur d'avoir déjà vu des locaux en T-shirts, je crois que tous le monde a les bras couverts également. En voyant cela, on se dit que seuls les Européens portent des shorts. Tafraoute possède plusieurs camping, tous remplis de camping cars, à tel point qu'on dirait une usine. La plupart des camping cars remorquent une petite voiture, un buggy ou encore une moto. On m'avait prévenu qu'Agadir, située non loin d'ici, était une colonie pour retraités européens. Ce que je vois ici s'en approcher et me réconforte dans l'idée que j'ai bien fait de ne pas aller à Agadir.

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Et encore, ça c'est de la peau de jeune

Au lieu de cela, je vais à Tiznit et puis plus loin sur la côte jusqu'à Sidi Ifni, déjà à plus de 100 km au sud d'Agadir. J'ai du mal à remonter en selle. Le tajine pour deux, même s'il n'avait pas l'air très gros, me rempli bien l'estomac avec les deux pains que j'ai mangés.

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Le ciel est nuageux et le sol venteux, on dirait qu'il va pleuvoir. Je suis salué par Hassan dans un virage lors de l'ascension d'un col. En raison du manque d'emplois dans le secteur de la biologie, il est gardien de nuit dans un camp pour les travailleurs de la route et il m'invite à camper avec lui. D'ordinaire je n'aime pas trop m'arrêter en pleine ascension d'un col mais il est déjà 18h et cela m'évitera d'avoir à chercher un endroit pour camper, alors je monte ma tente derrière un container. Nous dînons ensemble dans sa tente puis je m'écroule dans la mienne. Je sais désormais pourquoi tant de lieux ici commence par "ta": Taroudant, Tazenakht, Tafraoute, Taliouine, Tazazert, Tahala... C'est la marque du genre féminin dans la langue Tamazight, et les noms de lieu sont tous féminin. Cela vaut aussi pour Tanger, Tétouan, Tarfaya, etc.

Je dois me lever à 6h30 car les ouvriers arrivent à 7h. C'est dur de se lever dans l'obscurité mais la journée n'en sera que plus facile ensuite car j'aurai largement le temps d'atteindre Tiznit à 80km d'ici. Avec Hassan nous décidons d'un commun accord de nous retrouver à Tighmi, située à mi-chemin, car le mercredi, c'est jour de souk.



Le temps se détériore encore et j'ai reçois même des gouttelettes d'eau. J'espère que ça ira mieux une fois sur la côte. Il y a une descente longue de 15 km jusqu'à Tighmi, semblable à la descente de 15 km d'hier pour rejoindre Tafraoute. Celle-ci est beaucoup moins pittoresque en raison de l'épais brouillard qui rend la route dangereuse.

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Matin brumeux

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Ma “jolie” descente vers Tighmi

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On y voit enfin quelque chose

Je suis désormais à une altitude inférieure à 500m ce qui n'était plus arrivé depuis...Fès, il y a un mois de cela! Si l'on excepte les dune de sable de Merzouga, située à 800m d'altitude, j'ai presque toujours été au dessus de 1000m depuis que j'ai quitté Fès pour rejoindre Ifrane dans le Moyen Atlas. Cette descente me donne un peu l'impression d'un atterrissage sur le plancher des vaches, au pays des routes plates. Il fait tout de suite plus chaud.

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La petite ville de Tighmi est très animée en ce jour, tout le monde vient pour acheter et vendre, ou pour voir des amis qui viennent acheter et vendre. Je déjeune rapidement avec Hassan puis repars pour la seconde moitié du trajet, 40km de route plutôt plate jusqu'à Tiznit.

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Le souk de Tighmi

Ces quarante derniers kilomètres sont ennuyeux et prennent beaucoup plus de temps que prévu à cause du vent contraire qui me limite à une vitesse ridicule. S'il s'agit d'un avant-goût de ce qui m'attend pour les 1500 km dans le Sahara, ce n'est pas motivant du tout.

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Après avoir accueilli avec joie chaque nouvelle borne kilométrique depuis le km 20 jusqu'au km 1, j'atteins enfin Tiznit, une ville plutôt grande avec beaucoup de cyclistes étrangers circulant la médina et le camping, ou sont garés les camping cars. Je galère pour trouver les hôtels bon marché de la médina, tous entassés au même endroit à côté des 50 magasins de babouches. Pour 40dh je n'ai même pas droit à la douche collective. Je suis impatient d'être à demain soir. Je serai alors sur la côte, à Sidi Ifni, où je prendrai quelques jours de repos.

Je vérifie les prévisions météo sur internet pour les prochains jours, sur la côte et dans le Sahara: pas de plus, et le vent soufflera depuis le nord! Je sais bien qu'on ne peux pas se fier à une prévision à 10 jours, mais cela me rend confident pour la prochaine étape.

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Marché de Tiznit

Mes jambes sont vraiment fatigués et j'ai besoin de ces jours de repos, et j'ai décidé de quitter la très animée et bruyante Tiznit pour me reposer sur la côte à Sidi Ifni, une ancienne enclave espagnole, qui est maintenant un haut lieu du surf. C'est parti pour 75km de plus.



J'ai un vent de face en quittant Tiznit vers l'ouest et suis impatient de savoir si, en accord avec les prévisions de Google, le vent va soudainement changer de direction pour me pousser vers le sud lorsque j'arriverai sur la côte.

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Tiznit

C'est une journée ensoleillée et paisible sur l'asphalte de grande qualité de la route rénovée il y a peu. J'évolue sur du plat à l'exception d'un petite colline séparant Tiznit de Mirleft et qui me fait monter de 200 à 400m. L'air est plus humide et je me sens plus tranquille en sachant les montagnes derrière moi. Je vais sûrement m'ennuyer sans elles, avec la moitié de mon champ de vision occupé par une surface d'eau (et encore plus dans le Sahara si l'autre moitié est remplie de pierres et de sable). Pour l'instant je suis impatient de pédaler sur la côte, ce qui n'était plus arrivé depuis le tout début de mon séjour marocain, vers Tétouan.

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Face à l'océan

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Vers Mirleft

Le vent,étonnamment, suit les prévisions et me pousse désormais dans le dos. C'est un vrai plaisir de savoir que c'en est fini du vent contraire que j'ai du affronter durant une semaine pour atteindre la côte.

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Plage de Legzira

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L'arche de la plage de Legzira. Le vent est très fort.

L'entrée de Sidi Ifni commence par un rue à 2 x 2 voies nouvellement goudronnée. La ville est juste à coté de la plage, je vois 2 surfeurs qui retournent à leur hôtel, et beaucoup d'étrangers et de nombreux camping-cars, mais pas trop non plus. L'hôtel « cool » de la ville, Suerte Loca, affiche complet et ne prend pas les vélos, alors je commence mon tour des hôtels de Sidi Ifni. J'en trouve pas mal à 35dh (3€) la nuit, mais ils n''offrent rien de plus qu'un lit pour ce prix là. J'ai besoin de me reposer correctement et je souhaite avoir une salle de bain privé avec de l'eau chaude à volonté (comptez 20dh de plus pour chacun de ces trois critères). Après avoir négocié dans un bon hôtel à côté de la plage (pour une chambre avec douche chaude, vue sur la mer et le bruit des vagues) je peux sortir en ville avec une mission spéciale: manger de la nourriture riche en graisses pour avoir de "l'énergie" lors de ma traversée du Sahara. Le désert débute à Guelmin, à 60km d'ici. Je dîne avec un couple d'allemands qui m'a doublé en voiture pas moins de quatre fois depuis Igherm (il y a 300km). Du jus d'avocat, un gâteau au caramel, des frites et du poisson, des olives, des salades et des fruits, tout ce qui ce mange se retrouve dans mon ventre.

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En arrivant à Sidi Ifni

Sidi Ifni, dont l'architecture a subi l'influence du contrôle espagnol jusqu'en 1969 et qui possède une piste d'atterrissage en plein milieu de la ville, est un lieu plaisant et relaxant. Malheureusement mon visa mauritanien, délivré avec les mauvaises dates, est entré en validité depuis hier déjà. J'ai désormais 30 jours pour quitter la Mauritanie alors que j'ai encore 1500km à parcourir avant de pouvoir y rentrer. Je dois poster mes photos sur ce blog et écrire les dernier articles, sans oublier d'effectuer un nettoyage complet de mon vélo et de laver mes vêtements. Ce qui devrait être un moment de repos devient une situation plutôt stressante.

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Port de Sidi Ifni

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Licorne sur la plage de Sidi Ifni

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Pêcheur vers le vieux port espagnol, fermé, mais dans lequel on trouve encore des biens espagnols

Dans un supermarché pour retraités européens, je tombe sur des cookies Chips Ahoy! C'est presque un miracle. Malheureusement, le fromage n'a pas suivi:

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Le plateau de fromage au Maroc...:'(

Étant donné que la route qui s'annonce sera désormais déserte et partie intégrante du Sahara Occidentale, je peux faire un bilan de mon expérience de cycliste au Maroc: étonnamment merveilleuse. J'ai commencé avec un à priori négatif et il est vrai que Rif, ainsi que d'autres endroits touristiques insupportables tels que Marrakech, ne sont pas très accueillants et ils apportent plus de complications que de plaisir. Cependant, les paysages étonnants et variés (montagnes, neige, plateau, désert, dunes, oasis, rivières, canyons, vallées, forêts) ainsi que les gens de la campagne, toujours gentils, ont fait de ce voyage de 2 mois et 2300km une expérience très enrichissante.

Par la suite, le tronçon long du désert du Sahara m'attend. Les prévisions météo annoncent le vent contre moi, mais je suis impatient de relever le défi.