Il fait 4°C à l'intérieur de ma tente quand je me réveille. Je suis bien en Afrique, mais je dors à 1740m (la nuit la plus haute du voyage jusqu'à maintenant) en plein hiver. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas réveillé dans le froid avec les doigts gelés pour replier la tente. Je repars à vélo avec la veste, le bonnet et les gants, comme au bon vieux temps froid.
Je rejoins rapidement une jonction me ramenant sur la route principale en direction de la source d'Oum Errabia au sud. Les 30 prochains kilomètres s'annoncent monotone vu qu'il n'y aura rien à voir le long de la route. Je suis bien content d'avoir pu manger le pain qu'il me restait pour le petit déjeuner.
Je pédale désormais dans le Moyen Atlas. Cela ressemble plus à un haut plateau qu'à une chaîne de montagnes enneigée. J'oscille entre 1600 et 1800m d'altitude et le temps est juste comme il faut pour avoir chaud sans pour autant transpirer. C'est plutôt vert et la région et pleines de fermes, de cabanes et d'ânes.
J'arrive à temps pour le déjeuner à la source d' Oum Errabia, la deuxième plus longue rivière du Maroc. La source jaillit à coté d'un petit village où les enfants mendient de l'argent auprès de quiconque se déplace sur des roues, où les prix sont bien supérieurs à la moyenne et où je trouve des toilettes payantes pour la première fois au Maroc.
C'est un lieu touristique, mais encore une fois réservé aux gens d'ici. C'est mon 4ème « lieu de tourisme local », après Moulay Yacoub, Ifrane et Mischliffen, où tous les touristes étaient des citoyens marocains. Je n'y ai rencontré aucun touriste étranger. A l'opposé, au portes du désert, ou dans les médinas de villes telle que Marrakech, Fès, ou Chefchaouen, le touriste étranger est le moteur de l'économie. Le tourisme est bien plus développé là où les étrangers sont présents. On y trouve plus de magasins, plus de nourriture, plus de présence policière, plus d'attrape touriste, plus "d'exotisme". Ce qui est frappant dans les endroits sans touristes étrangers c'est qu'on peut regarder les gens et faire ce qu'on veut tranquillement. En temps normal je suis instantanément entouré de faux guides m'offrant tout et n'importe quoi et je ne peux pas faire cinq mètres sans entendre "Hola amigo". Et je dois bien avouer que c'est parfois étrange de pouvoir ressentir, comme c'est le cas maintenant, une relative solitude au milieu des autres visiteurs.
La source se trouve dans un bel endroit. L'eau douce est bonne à boire, et le ruisseau magnifiquement coloré est bordé de petites huttes où l'on sert du thé et des tajines. La plupart sont vides cependant. Je fais la rencontre de deux jeunes cyclistes (et c'est très rare par ici de voir des cyclistes) et nous visitons la cascade ensemble.
Ils m'invitent à passer la nuit chez eux à Mrirt, mais malheureusement c'est à l'opposé de ma direction. Il fait chaud maintenant et j'enlève ma veste pour entamer une ascension sur une route étroite et le plus souvent défoncée, mais praticable pour peu qu'on aie une petite voiture et qu'on conduise prudemment.
La petite route m'amènera à Khenifra, la grande ville de la région. Mais 20 km avant cela, je dois prendre une décision : prendre la direction ouest vers Khenifra-Marrakech et traverser le Haut Atlas par le col de Tizi n'Tichka, ou partir à l'est vers Midelt-Errachidia et traverser le Haut Atlas en empruntant les gorges du Ziz. Par manque d'informations fiables, j’exclue l'idée de tirer tout droit en empruntant les chemins de terre passant par Imilchil. C'est l'option qui m'emmènerait le plus haut et probablement la plus belle en terme de paysages, mais sûrement la plus risquée aussi par ce temps hivernal.
Je repars vers l'est, vers la N13, et par conséquent je traverserai le Haut Atlas à son extrémité est, entre Midelt et Errachidia. En attendant, je dois finir de traverser les collines du Moyen Atlas. Pour une fois les panneaux routiers, ma carte papier et OpenStreetMap sont tous d'accord et m'indiquent Itzer dans la même direction, à 74km d'ici.
J'avais des doutes sur cette route mais il s'avère qu'elle est bien goudronnée. La carte papier l'indique comme telle, et un gars du coin me l'a confirmé en précisant qu'il y aurait beaucoup de nids de poule, mais en vélo je m'en fiche un peu. Je veux juste éviter les chemins boueux sur lesquels je n'avance pas avec la boue qui accroche aux roues et se solidifie sous les gardes boue et autour des freins.
Sur les routes tranquilles, je vois un singe. Avec les chiens, cela constitue une nouvelle menace si je dois camper en forêt. La nuit arrivant dans moins d'une heure je demande si je peux m'installer à l'intérieur de la clôture d'une maison en brique, mais j'essuie un refus.
Donc je continue dans la forêt, en montée, jusqu'à la tombée de la nuit. Le bitume disparu. Il refait surface de temps en temps pour quelque mètre. Des bouts de neige apparaissent également par intermittence. Il fait de plus en plus sombre. Il n'y a pas âme qui vive quand soudain, deux hommes montant des ânes surgissent de nulle part. Je continue à grimper jusqu'à ce qui me semble être le dernier virage quand soudainement... le Haut Atlas !
Je suis au-dessus de 1800 m et la route au bord de la montagne laisse maintenant apercevoir une ouverture dans la forêt. La vue est magnifique avec ces tons de coucher de soleil, le plateau au premier plan, et les lointains sommets enneigés à l'arrière plan. Je peux également voir et entendre de nombreux animaux. Alors que le silence régnait au cours de l'ascension, ici c'est la cacophonie. Il y a des ânes et des vaches partout. Les familles habitant les maisons rustiques du coin sont en train de les faire rentrer au bercail. Les gens ne laissent vraiment aucunes terres inutilisées. Je pensais trouver plus de zone sauvage au Maroc qu'en Europe mais ce n'est pas du tout le cas. Cela me complique la tâche pour trouver de bons endroits où camper.
J'ai une belle vue mais toujours pas d'endroit pour camper donc je continue à pédaler sur cette route en piteux état. C'est à ce moment que Mehdi débarque dans son pickup et me propose une place chez lui pour la nuit. C'est à 6km d'après lui alors j'accepte de tricher un peu en mettant mon vélo dans la Toyota. Nous discutons tant bien que mal en Français, avec beaucoup de morceaux de football. Il est impossible de voyager au Maroc sans connaître les dernières infos sur le Real de Madrid et le Barça, ou encore sans savoir qui sont Messi et Ronaldo.
La route semble faire bien plus de 6km et le peu de goudron restant est maintenant remplacé par d'énormes cratères. Je suis un peu ennuyé parce que nous sommes sur la partie pittoresque de la route, en descente, avec une vue spectaculaire sur un canon avec les sommets enneigés en arrière plan, mais je suis dans une voiture au lieu d'être sur mon vélo. J’espère que nous serons bientôt arrivés et qu'il en restera un peu pour demain. La route est juste assez large pour une voiture et elle serait bien plus rassurante avec une barrière de protection.
Enfin, ma virée en pickup aura duré 15km. Nous arrivons à sa maison située dans les pentes redescendant sur la vallée, juste en contre bas de la route. La pente fait que la construction de trois étages a son toit juste au niveau de la route. J'ai eu l'impression de parcourir bien plus de 15km, sûrement à cause de l'état de la route et de la lenteur à laquelle nous avancions. Nous négocions un dernier virage en U au dessus du vide, plutôt effrayant, et nous y sommes.
Je suis accueilli dans la famille avec du lait épais, un délicieux thé sucré, du beurre, de l'huile d'olive et du pain. La cuisine est une pièce faiblement éclairée à l'aide d'une ampoule montée sur une bonbonne de gaz. Nous sommes tous réunis autour du poêle. Huit personnes, dans une pièce de taille réduite, il fait extrêmement chaud. J'apprends quelques mots de Tamazight, la langue berbère. Il n'y a pas d'électricité, ni d'eau courante, la route d'accès est de la pire espèce, mais le réseau 3G et Facebook ont su pénétrer cette enclave avec succès. La 3G est fournie par Maroc Telecom ici, mais avec ma carte SIM Meditel je ne capte rien.
Après la collation, nous aller et regarder un match de la CAN: Burkina Faso – Togo. Je suis un peu surpris, étant donné qu'il n'y a pas d'électricité dans la maison. En fait le frère à une TV dans sa chambre, avec une antenne satellite et un panneau solaire sur le toit. Du coup après une journée ensoleillé, c'est foot et films. Le match, sur Eurosport Allemagne, est d'un faible niveau, surtout après avoir vu tous ces Real - Barcelona et autres "gros" match des ligues européennes. Le Burkina Faso se qualifie, Adebayor est sorti, et nous retournons à la cuisine pour manger des lentilles. La vaisselle sera vite faite vu comme on mange (2 assiettes et 3 verres pour 8 personnes)
Le syndrome de téléphone portable "nous-sommes-tous-autour-de-la-table-en-train-de-tapoter-sur-nos-portables" se retrouve ici aussi, avec les trois hommes fixant silencieusement leur téléphone. Je ne participe pas étant donnée que je ne capte pas de réseau et je vais vite me coucher, sous trois couches de couverture berbères qui me tiennent autant chaud que si j'étais assis à côté du feu. Je rate le ciel nocturne parfaitement dégagé, mais je me rattraperai dans le désert.
Le matin, je quitte la famille de Mehdi après un bon petit déjeuner, à nouveau composé d'huile et de beurre avec du pain maison.
A mon tour maintenant de me déplacer sur ces mauvaise routes. Ma destination, Itzer, se trouve à la sortie du Moyen Atlas. Je devrais donc clore aujourd'hui ce premier chapitre de collines et de neige.
Pendant les premiers kilomètres, je ne vois personne sur la route. Aucune voiture, aucun piétons. Quelques formes se déplacent vers les maisons dans la vallée. Accompagné par le seul bruit du vent, le paysage m’apparaît comme hostile est dépeuplé.
La route est de pire en pire. On dirait qu'elle a été emportée par les glissements de terrains et la fonte des neiges. Parfois le goudron réapparaît sous la boue.
Je grimpe encore, de 1500 à 2000m. Le paysage est magnifique. Je suis un peu inquiet par rapport à la route. Je n'y ai vu qu'un seul 4x4 pendant toute la matinée et j'espère qu'elle m’emmènera bien de l'autre coté comme prévu.
J'atteins ce qui semble être l'altitude maximale de la journée, juste au dessus de 2000m. Ça ne ressemble pas du tout à un col avec des routes en lacet mais plutôt à une immense zone plate et fertile. Pas d'électricité, pas de voitures, mais des moutons qui se prélassent dans l'herbe et deux bergers. L'herbe ressemble à de la mousse, un peu comme si c'était un tapis. Cela me rappelle le Gobi en Mongolie: froid, sauvage et hostile, et pourtant humide et apprivoisé. Je roule désormais sur une route en gravier. Une fois atteint la lisière sud de celle-ci je devrais avoir en ligne de mire la prochaine chaîne de montagne, le Haut Atlas, que j'ai aperçu pendant 5 minutes hier soir.
Dans l'après midi j'ai l'occasion d'entamer ma première conversation de la journée avec deux cavaliers. Enfin bon, je peux juste placer les trois mots de Tamazight que j'ai appris, soit "bonjour", "merci" et "lait", du coup la conversation ne s'éternise pas.
Et comme prévu, le point de vue mérité fait son apparition après un dernier virage. C'est grandiose.
A partir de maintenant, la route ne peut que descendre. Je n'ai fait que 30km en une demi journée et c'est un soulagement de voir cette vaste plaine en face de moi. Les sommets enneigés au fond font appartiennent au Jbel Ayashi, dans le Haut Atlas de l'est, qui s’élève à 3747m. Il ressemble à une barrière entre le nord et le désert, un peu comme une palissade.
La descente est amusante, à un moment je dois pédaler sur 100m dans la rivière qui a pris le dessus sur la route. Avec tous ces sommets j'essaie de me repérer sur la carte, pour mettre un nom sur chaque montagne. Je suis encore aux alentours de 1800/1600m, mais, en regardant la neige située à 4000m, j'ai plutôt l'impression d'être au niveau de la mer en train de regarder des montagnes de 2000m de haut. Il fait plutôt chaud mais le vent est froid.
Je n'ai pas trouvé un seul magasin depuis ce matin. Le demi pain que j'ai emporté avec moi est fini depuis longtemps et je suis impatient de pouvoir manger. Je poursuis la descente, non pas vers Itzer, mais vers Boumia. C'est à ce moment que je me rends compte que quelque chose d'étrange viens de se produire...le paysage est désertique...c'est ça, il n'y a plus de vert! Ce serait donc déjà le désert ?
Boumia est une ville plus grande que prévu. Avec 10 000 habitants, on trouve beaucoup de magasins le long d'une longue rue. Comme d'habitude les magasins sont pleins de trucs, mais c'est la toujours la même chose, et pas ce dont j'ai besoin. Dans un même endroit on trouve des médicaments, des aliments secs, des produits laitiers, des jouets en plastique, des cartes SIM, des pièces automobiles, des outils... mais pas de pile CR1225. Ce n'est pas trop grave, j'en ai juste besoin pour un truc un peu futile, alimenter le rétroéclairage de mon couteau suisse pour pouvoir lire la température la nuit sous la tente. D'un autre côté on m'offre le thé dans tout les magasins, et cela de bon cœur et sans me parler pendant des heures de tapis que je pourrais payer avec ma VISA pour me les faire envoyer à la maison.
Il y a un hôtel en ville à 50 dh donc il substitue rapidement à mon idée de faire du camping. Lorsque le soleil se couche, le froid reprend la ville et les commerçants s'en tenir à leur appareil de chauffage. J'ai attraper la nourriture ici et là et dirigez-vous vers un café avec un wifi lent. J'ai remarqué que le thé à la menthe est souvent remplacé par chiba, les feuilles d'absinthe.
AlinC
Images sublimes, heureusement que l’on sait que tu es au Maroc car cela ressemble a certains paysages du haut Jura.Pour éviter la fringale tu n’as pas qqs centaines de grammes de sucre en réserve .
A+
En effet, c’est tout vert et boisé avec un peu de neige. Par contre le haut atlas juste en dessous n’a rien a voir.
J’ai bien des trucs sucrés en reserve, mais a la fin de la journée, il me faut quand meme 1 kg de trucs solides a manger 🙂