Fin décembre, je peux désormais compter les jours et les kilomètres qui me séparent de mon arrivée à la lisière de l'Europe.
Je me réveille dans ma grotte après m'être reposé aux sources chaudes de Alhama de Granada et avoir ingurgité un dîner pour deux.
La nuit a été plus froide que les précédente et on dirait que l'hiver est de retour. Ma selle est toute givrée.
Le but de la journée est d'aller à l'ouest, jusqu'à Gibraltar. Je quitte la province de Grenade pour celle de Malaga et le paysage est très agréable, comme d'habitude.
Il n'y a aucun endroit plat dans cette région. À chaque point de vue, j'ai une vue panoramique sur les cols et les collines à venir. Parfois, je vois aussi la mer. Je rencontre des champs et des villages même dans les pentes les plus raides, et les chemins que j'emprunte me font principalement traverser des champs d'oliviers, en passant par Riogordo, Colmenar, jusqu'à Villanueva de la Concepcion où je m'arrête pour camper face au parc national d'Antequera.
Dans le sud les journées sont plus longues, mais les matins sont aussi plus difficiles à gérer. Comme à mon habitude je dors encore un peu après l'alarme, mais quand je sors de la tente il fait encore nuit. Il fait même plus sombre que pendant la nuit quand la lune brillait, me permettant de cuisiner sans lampe frontale. Mais à 8h du matin, sans lune ni soleil, je dois retourner sous le tente et me glisser dans mon sac de couchage encore chaud. Il y a des cristaux de glace à l'intérieur et à l'extérieur de celle-ci, et mon vélo à l'air un peu plus vieux avec la pellicule blanche qui le recouvre.
Enfin le soleil se lève et la Sierra de Antequera, que j'ai placé soigneusement juste en face de moi, s'embrase. Il est temps de remballer, d'enfiler le bonnet et les gants et de prendre la route en pente raide jusqu'à Villanueva de la Concepcion. Les panneaux de signalisation, quand ils existent, ne sont plus d'une grande aide depuis quelques temps. Seules les autoroutes et les principales villes sont indiquées. D'un autre côté ça me permet d'être tranquillo sur les routes secondaires.
J'ai toujours mal aux jambes et c'est encore une journée de routes pas plates qui s'annonce. Le soleil à tôt fait de me réchauffer et je me met en manches courtes avant d'entamer les montées/descentes (cf le profil de la route ci dessus, assez explicite) dans les petits villages jusqu'à Ronda, et de là plein sud vers Gibraltar.
Les chaines de montagnes de la région sont tout impressionnantes, avec leurs murs énormes. D'ailleurs j'y ai aperçu des grimpeurs à de nombreuses reprises.
Dans La Joya, j'emprunte un raccourci secret hors de la route principale. Secret car il n'apparait nulle part sinon sur Google Maps. C'est une route goudronnée, probablement en rénovation perpétuelle, qui m'emmène jusqu'à Valle de Abdalajis. Tous les noms de la région ont des consonances arabe et les villages ont tous, au minimum, un centre de conception mauresque. Il y a de bonnes descentes mais je modère mon allure à cause des énormes nids de poules cachés à l'ombre des arbres et qui ne pardonnerait pas si jamais je les repérais au dernier moment.
Tout à coup, du haut de ma petite route, je fais face à El Chorro. Il y a beaucoup de béton et ça me fait penser que, après avoir passé tout ce temps dans les collines et les montagnes, je n'ai toujours pas vu un seul barrage. Si c'était la France ou la Suisse, j'en aurais déjà rencontré un paquet. Celui d'El Chorro est le premier que je rencontre depuis un bout de temps.
Trois rivières ont été transformées en réservoirs pour cette centrale qui vise à fournir de l'électricité à Malaga, la capitale de la province éponyme, à seulement 30 à 40 kilomètres au sud, au bord de la côte.
Il y a là une gorge très haute et étroite et un petit pont. Ce pont était un pont de service destiné à la Centrale Hydroélectrique d'El Chorro, achevée en 1905, perchée à 100m au-dessus du sol. Il est écrit qu'aucun accident mortel n'a été enregistré lors de la construction, et que le pont a été nommé le Caminito del Rey, une fois traversé à pied par le roi.
Les trois cours d'eau traversant Malaga traversent aussi cette minuscule ouverture à travers les rochers, la gorge de Los Gaitanes. En période d'inondations un énorme jaillissement d'eau (chorro) se formait ici et menaçait les plantations ainsi que les habitations des alentours. Cela n'arrive plus avec le barrage, et du coup je peux prendre la route faisant face à el Desfiladero de los Gaitanes jusqu'au réservoir situé un peu plus haut.
La route de Ronda est encore longue et je ne la ferai pas aujourd'hui. Je continue à pédaler, ignorant les rares panneaux indiquant des autoroutes ou des nationales, jusqu'à Ardales et El Burgo. Il y a beaucoup moins d'habitations dans cette région, et on se sent vite seul sur les routes désertes et en bien piètre état.
Il semblerait que la route vallonnée de El Burgo à Ronda représente quelques 25km de solitude, et comme je voudrais recharger ma batterie (d'ordinateur portable), je décide de m'arrêter ici. Il n'y a pas de camping, mais on me met avec les scouts à l'intérieur de la ville pour la nuit. Ils sont venus de la proche ville de Jezez et fêtent Saint Innocent ce soir. Nous passons une bonne soirée, à l'abris du froid mordant de l'extérieur.
Le matin, je quitte Carlos, Jésus et les scouts et pour m'aventure dans le froid, équipé comme je l'étais dans les Alpes et les Pyrénées. C'était sans compter sur le soleil andalou qui me réchauffe bien vite, aidé par le chemin qui m'emmène presque jusqu'à 1200 m.
Le paysage est vraiment magnifique comme d'habitude, et je fais un arrêt à un mirador qui offre une vue sur El Burgo et la Sierra de las Nieves. On raconte des histoires par ici sur le dernier des bandits de montagne en activé dans cette région de routes et de cols secrets.
Mes jambes sont toujours hors ligne, mais j'ai arriver au col d'el Viento del Puerto à 1190 m qui sépare El Burgo de la vallée de Ronda. Il s'agit d'une vieille ville que je voulais passer à travers, et c'est en fait obligatoire pour celui qui veut éviter la côte.Mes jambes sont toujours aux abonnés absents mais j'atteins tout de même le col d'el Viento del Puerto à 1190 m qui sépare El Burgo de la vallée de Ronda. Il s'agit d'une vieille ville que je voulais traverser, et c'est en fait obligatoire pour qui veut éviter la côte.
Les derniers 20 km jusqu'à Ronda sont purement en descente, je vois là beaucoup de cyclistes (qui ne semblent pas descendre sur El Burgo pourtant).
L'attraction de Ronda est un très grand pont reliant les deux parties de la ville, située chacune de leur côté du canyon. Mais la caractéristique la plus frappante pour moi est la présence de touristes. Ronda est une ville touristique, plus que je m'y attendais, et passer d'une semaine à vélo sur des routes solitaires à un endroit bariolé de panneaux dans toutes les langues constitue un choc.
Certains touristes prennent une photo avec un cheval pour un euro, on peut acheter un timbre dans une machine semi automatique,... le paysage mitraillé à coups de Canon et de Nikon n'est pas même spécial. Cela me fait réaliser à quel point j'étais bien sur les routes désertes (là où on ne paye pas pour prendre une photo avec un cheval), et comment les lieux censé "valoir le détour", accessibles par en train et en bus, sont en fait beaucoup moins intéressants qu'une bonne journée d'exploration.
Le pont spécial, el Puente Nuevo, est très impressionnant, mais trop grand pour être bien vu (et photographié) depuis la ville. Ça doit être bien mieux de descendre à pied jusqu'en bas. Il y a un chemin qui descend avec quelques personnes, mais pas question de laisser mon vélo alors je poursuis en m'éloignant de Ronda, préférant un beau paysage tranquille à une masse de touristes.
La plus petites des routes menant au "fond de l'Espagne" est assez large mais devient rapidement déserte. Il y a beaucoup de "miradors", ces points de vue qui surplombent la Serrania de Ronda et ses petits villages: Atajate, Benalauria, Algatocin Gaucin. La route passe le long des crêtes de la chaine de montagne andalouse jusqu'à Algeciras et la mer dans le sud. Cela rend le trajet très pittoresque, sur les deux côtés. Le paysage apparait comme très secs, rocailleus et inhospitalier, mais il y a des chèvres partout.
Le soleil brulant me tape sur la tête alors que je prends de la vitesse dans la descente. La route est bordée par un petit mur de pierres. Dans l'un des miradors, la carte du paysage montre « Gibraltar » et « Marruecos »: victoire ! Presque. Cela signifie la fin de mes aventures européennes. Pourtant, je ne vois rien à l'horizon. Je peux apercevoir la mer mais je ne sais pas où se trouve Gibraltar parmi ces nuages.
Les derniers kilomètres de la journée après Gaucin constituent en une longue descente. Ces 10 kilomètres sans effort jusqu'à San Pablo de Buceite sont en quelques sorte une rétribution pour tous les jours passés dans les collines. Je n'ai pas rencontré de cols majeurs ou de montagnes célèbres ce fut le cas dans les Alpes et les Pyrénées, mais je me suis débrouillé pour faire au moins 1000 m de dénivelé par jour pendant les 8 derniers jours. Le « 12 mètres d'altitude » que je peux lire sur mon GPS marque la fin définitive de ce superbe et dur paysage.
À cette vitesse, je me rends compte également que ça fait longtemps que je n'ai pas vu mon compteur accumuler les kilomètres aussi vite. Alors je continue sans m'arrêter jusqu'aux dernières lueurs du jour, me rapprochant toujours plus des ports où se trouvent les ferry. Quand viens le temps de s'arrêter je galère pour trouver un endroit convenable sans barrières et sans chien et je demande conseil à deux autochtones se tenant près d'un champ. Il me déconseille de sauter par dessus les barrières à cause de "hay toros", tout en mimant le taureau avec leur doigts sur leur tête. Il n'en faut pas plus pour me convaincre et suivre leur conseil en allant voir 3km plus loin, jusqu'au grand arbres.
Je monte ma tente à l'endroit où j'aurais fini par m’arrêter de moi même de toute façon, le seule endroit de la route où il n'y a pas de barrière, à coté d'une rivière, juste avant Los Angeles. C'est très boueux, j’espère qu'il ne va pas pleuvoir pendant la nuit. Ça devrait être ma dernière nuit sur le continent européen.
J’ai été tellement furieux quand j’ai réalisé que vous décrivez ici un endroit de camping parfait après Gaucín qui n’est pas « privado de coto de caza » ou d’une colline escarpée ! Et j’ai été pris dans ce pueblo dominée par Brit fois la nuit tombée. Une erreur coûteuse dans un endroit pareil.