Perdu dans un film

Je débute la matinée par la visite de l'usine désaffectée qui m'a servie d'abris. Outre les deux petits bureaux qui ont l'air assez récent, la structure principale est constituée d'un très long bâtiment dans lequel on fabriquait du béton précontraint. La société existe encore aujourd'hui aux Etats-Unis, mais les documents que j'ai trouvé sont tous antérieurs à 2005. J'ai lu autre part que l'usine a ouvert en l'an 2000, ça fait court comme durée de vie pour un truc immonde qui est maintenant visible à des kilomètres à la ronde.


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Visite matinale

Le temps est magnifique belle et je me dirige vers le sud en direciton d'Almeria. L'objectif de la journée est d'atteindre Alhama de Almeria. “ Alhama ” vient d'al-Hammam et désigne les bains. Cette partie de l'Espagne fut occupée par les musulmans pendant plus de sept siècles, entre les Romains et les chrétiens, et je devrais donc être témoin d'un mélange d'architectures intéressant. Toutefois, la vraie raison pour laquelle j'ai fait d'Alhama mon objectif du jour, c'est de pouvoir profiter des bains. Quand je faisais le tour d'Hokkaido au Japon, j'allais presque tous les jour dans des rotenburos shizen, des sources d'eau chaudes situées en pleine nature, et mes jambes étaient comme neuves tous les matins. Et bien sûr, je préfère mille fois aller au lit avec une légère odeur de soufre sur ma peau plutôt qu'avec la sueur encore collante de ma journée de vélo.

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Un environnement plus conventionnel pour le vélo

Je continue sur la petite route dans laquelle je me suis engagé hier pour atteindre l'usine indiquée par le gars du champ d'orangers. Ce n'est pas la route principale pour aller à Lubrín mais, d'après Google Maps, elle y passe aussi, du coup je n’ai même pas à faire demi-tour. Bizarrement, elle est goudronnée, ce qui est étonnant pour une région déserte comme celle-ci, mais je suppose que c'est dut à une quelconque activité industrielle.

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En effet, après quelques kilomètres, la route goudronnée débouche directement sur une carrière. Heureusement ce n'est pas la fin de la route, mais la suite est en gravier. Tant pis, je continue.

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Comme je n'ai pas eu de ptit dèj, je me fais un festin à base de fruits de cactus et rentabilise la douleur-des-aiguilles-dans-les-doigts

J'ai bien du mal à trouver mon chemin une fois passé le petit village abandonné, constitué d'une dizaine de maison, au pied de la carrière. Aucune route en vue, mais grâce à Google Maps je réussi à en trouver une. Mais je me demande vraiment pourquoi ce truc est indiqué comme étant une route …

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Il me faut rester optimiste en remontant la rambla, le lit de rivière asséchée

Même si c'était une piste utilisable par une voiture au début, ça n'a plus rien à voir avec un chemin normal maintenant. C'est, au mieux, un sentier de randonnée non balisé. Je déteste vraiment l'idée de devoir abandonner et de revenir en arrière, donc je continue à progresser. Même si je dois parfois porter le vélo sur mes épaules. Je sais que cette “ route” me ramènera au final sur la route principale, et son asphalte, d'ici quelques kilomètres.

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“à vélo ”dans la Rambla

Cela devient terrible quand la “piste” se transforme en ça :

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Ça ne se voit pas très bien sur la photo mais c'est bien raide

La pente est suffisamment raide pour que je glisse sur les petits cailloux rien qu'en marchant. Impossible de continuer en poussant le vélo. Je n'ai plus le choix maintenant, je dois le porter. Avec 40kg sur une épaule, chaque pas est un défi. J'ai l'impression d'être un haltérophile qui réussi son mouvement à chaque petit pas qui me fait monter de 15cm sans glisser. Mon épaule me fait mal et après quelques minutes vraiment éprouvantes j'atteins enfin le bout de cette piste sans queue ni tête.

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Je prends quelques instants pour profiter du paysage. Après tout, même si je ne sais pas comment je vais me tirer hors de ce cauchemar, il faut bien que j'en retire quelque chose.

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Je reprends la route en poussant, mais très vite une autre séance de portage de vélo s'avère nécessaire pour atteindre le sommet de la montée. J’espère que c'est la dernière. Ça serait faux de dire que je suis perdu. Je sais exactement où je suis. Je n'ai juste aucune idée du temps qu'il me faudra pour sortir de ce sentier de randonnée et, plus grave, de la faisabilité de la chose. Il se pourrait très bien que je tombe sur une partie infranchissable, vu ce que je viens de passer et qui était déjà limite.

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On peut voir la Méditerranée

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Et puis enfin, au delà d'une colline, j'aperçois la route goudronnée et le village d'El Pocico. Avec un VTT je pourrais finir la montée et faire la descente, mais mon vélo est trop lourd et trop rigide pour ça. Je dois alterner la marche à pied, le pédalage et le portage pour descendre, mais je suis soulagé de pouvoir enfin quitter cette endroit aujourd'hui.

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Quand j'atteins Lubrín, il est déjà 13h et j'ai fait seulement 10 km. Je m'achète une cannette de limonade fraîche, qui à cet instant est la meilleure que j'aie jamais bu, et quelque trucs à manger. Je repars pour de vrai et essaie de faire quand même quelques kilomètres.

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Lubrín

La route grimpe encore après Lubrín. Je me souviens maintenant que c'est la dernière petite barrière de montagne sur la carte avant le sud de l'Espagne. La province d'Almeria est censé être l'endroit ayant le plus d'heures d'ensoleillement en Europe. Je sens que ça tape sur ma tête tout au long de l'ascension, il fait vraiment chaud et je transpire plus vite que ne je bois.

Une fois dans la descente, c'est comme si quelqu'un avait allumé la clim juste sur moi. Ca dure seulement 5 minutes mais c'est suffisant pour me sécher le visage et la chemise. La prochaine ville est Uleila del Campo, dominée par Nuestra Señora de Monteagud à plus de 1000 m.

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Le pont d'Uleila del Campo où une scène de Patton (1970) a été tournée. Le panneau indique que les Américains ont abbatu des ânes sur le pont tout en se faisant canarder par les Allemands.

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El peso de la ley en Uleila del Campo

J'effectue une longue descente en pente douce et ce qui me donne le sentiment de rattraper la mésaventure du matin. Je me dirige vers Tabernas, qui est précédée par des panneaux d'Hollywood.

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Texas Hollywood

Tabernas est une petite ville située au nord d'Almeria, aux portes dudésertéponyme, censé être le seul désert d'Europe, que je ne vais pas traverser mais seulement longer sur quelques kilomètres. Pour le traverser, la seule option serait de prendre l'autoroute A-92. Il semblerait que d'autres chemins existent, mais ils sont réservés aux gens bien équipés et documentés…

Si j'aperçois beaucoup de panneaux en lien avec le cinéma, c'est simplement parce que beaucoup de films très connus, comme Lawrence d'Arabie, Indiana Jones, ou encore les westerns de Sergio Leone, ont été tournés ici. En fait tous les films de western se ressemblent étant donné que seuls trois faux villages ont été construit pour les tournages. Depuis, ils ont été reconvertis en parcs à thèmes sur le farwest.

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Texas Hollywood/Fort Bravo … Lee Van Cleef est passé par là lui aussi

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Désert de Tabernas

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Mini Hollywood/Oasys/Yucca City a été construit pour Pour quelques Dollars de plus (1965) et Le bon, la brute et le truand (1966)

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Il commence à faire sombre et je dois rejoindre Alhama de Almeria bientôt. Je fais 10 km tout seul sur un bout de la route nationale N-340, qui sert aujourd'hui de voie de service à l'autoroute A-92, parallèle à celle-ci. Mais ensuite je dois encore remonter depuis le fond de la vallée. Pourchassé par la nuit, j'atteins mon objectif dans les temps grâce à mes jambes qui trouvent un second souffle.

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Cependant, quand j'arrive au pied de l'unique bâtiment faisant office de bains, un panneau m'indique qu'il est fermé pour travaux de rénovation. Je suis très déçu d'avoir poussé si loin lors de cette très très longue journée (pourtant censée être la plus courte de l'année) juste pour me retrouver coincé dans une petite ville inhospitalière, et je pédale pour aller un peu plus loin et tenter de trouver un endroit où camper. Cela s'avère très difficile pendant la nuit et comme je ne vois rien, je ne peux pas dire si je suis dans un champ privé ou non. Il y a tellement de chiens, qui peuvent sans doute me voir à la lumière de la lune, aboyant et produisant un vacarme terrible dans toute la vallée, que je n'arrive pas à trouver un endroit calme. Chaque clôture apporte son lot de chiens qui la longent en aboyant fort, et je ne trouve nulle part où m'installer. Je décide finalement mettre un terme à cette journée intense en rebroussant chemin vers le village où j'ai aperçu un abris un peu plus tôt.