Au moment de passer de l'Andorre à l'Espagne, j'ai décidé de filmer innocemment la scène, assis sur ma selle: les voitures qui s'arrêtent, les panneaux, quelques mots pour décrire la scène, etc.. Jusqu'à ce que les douaniers nous arrêtent.
Au début, j'ai cru que j'avais filmé un endroit que je n'aurais pas du. Les officiels dans les camps militaires et les postes frontaliers n'aiment jamais trop être filmés. Mais en plus de demander, d'une manière malpolie, à vérifier mon appareil photo et son contenu, les douaniers ont également examiné nos sacoches et contrôlé nos pièces d'identité. La scène dure entre 5 et 10 minutes, et au final ça parait logique étant donné que chaque voiture voit son coffre ouvert pour vérification avant de pouvoir entrer en Espagne. Mais ça fait quand même bizarre car, en tant que cyclistes, nous avons toujours eu l'impression d'avoir l'air innocents. Ça s'est bien passé vu que, de toute évidence, nous ne transportons ni cigarettes ni équipement électronique (j'ai trouvé le moyen d'avoir une paire de chaussettes et un saucisson d'Auvergne rangés tout en haut d'une de mes sacoches) (en plus j'ai rangé ce saucisson dans une sacoche qui n'est pas sensée contenir du saucisson, quelle bonne surprise de le trouver là !), mais la grossièreté du langage des fonctionnaires nous laisse une mauvaise première impression au moment d'entrer en Espagne.
Après ce contrôle douanier plus stricte qu'un contrôle dans un aéroport, je me rends compte que le soleil est là et que j'ai un tout nouveau pays à traverser. Et celui-ci est légèrement plus grand que l'Andorre. En plus c'est ma première fois en Espagne.
La première ville que nous traversons s'appelle La Seu d’Urgell.
Je récupère une carte SIM locale dans la première ville espagnole que nous croisons. Sur les 3 principaux opérateurs, le premier, Mobistar, n’a pas d'offre prépayée avec accès internet. Le second, Vodafone, a une offre intéressante mais la boutique n'aura pas de cartes SIM avant la semaine prochaine. Du coup, à moins d'attendre quelques jours le temps de passer dans une autre ville avec un magasin de téléphonie, je dois me résigner à prendre le troisième opérateur, le très redouté Orange. J'ai essayé leurs services en France et en Suisse. Rien ne marchait et j'ai même perdu du crédit. Cette fois ça a l'air de marcher comme sur des roulette, il y a une option décente parmi un choix de forfaits portant des noms d'animaux, et le contrat est rapidement mis en place. La boutique ferme juste après ma visite, à 14h. Oui, nous sommes maintenant dans le pays où les magasins ferment entre 14h et 17h, alors j'ai intérêt à ne pas me retrouver le ventre vide au mauvais moment de la journée.
Nous avançons vers l'est, direction Barcelone via Puigcerda. En fait nous allons tourner à droite juste un peu avant Puigcerda. Nous avons la chaîne des Pyrénées sur notre gauche et le parc national Cadi-Moixerò sur notre droite : c'est une très belle route. Au moment de quitter l'Andorre, nous avons eu le choix entre les plaines, et les voitures qui vont avec, ou les chemins vallonné. Bien que nous ayons déjà eu notre lot de montagnes et de cols, nous décidons d'en rajouter une couche, et c'est payant pour l'instant.
J'ai un programme sans ma veste. Il semble que c'est selon ma naïf de penser que, tout en obtenant en Espagne, nous ’ ll obtenir un temps plus clément. Mais c'est réellement vrai. La journée se passe bien, à l'exception de mon SIM espagnol ne se connecte pas à internet. Orange est vraiment mauvais dans tous les pays.
Je suis perturbé par le changement de police et de style sur les panneaux d'indication. Passant le plus clair de mon temps sur la route, je me suis habitué à une certaine police de caractère et à un code de couleurs, et il y a un réel changement avec le système espagnol. Une des polices utilisée pour indiquer les directions ressemble à du MS Comic Sans. Il y a également moins d'harmonisation entre les différents panneaux, avec trop de polices et de couleurs différentes. C'est peut-être fait exprès pour que ça soit plus lisible de loin, à taille de police équivalente, mais quand même, j'ai du mal à m'y faire. C'est un peu comme si j'emménageais dans un nouvel appartement.
Nous nous arrêtons pour camper vers 17h. Malgré notre impression, les températures sont encore en dessous de zéro. Pourtant, nous avons le sentiment d'avoir bien plus chaud qu'en France. Il est important de remarquer que nous sommes encore à 1000m. A peine le double toit installé qu'il est déjà recouvert de cristaux de glace.
Nous nous réveillons le lendemain au beau milieu d'un champ de flocon de neige près de Bellver. A moitié réveillé, bien au chaud dans nos sacs de couchage, vaguement conscients du temps qu'il peut faire dehors, nous nous retrouvons en quelques instants debout dans la neige à essayer de ranger nos affaires et replier nos tentes. La transition est suffisamment violente pour me mettre de mauvaise humeur (ce qui est de toute façon souvent le cas le matin).
Nous avons eu l'impression qu'il faisait vraiment plus chaud que lors des derniers jours en France, mais en fait il fait moins quelque chose à l'extérieur. Nous remballons les tentes le plus rapidement possible pour repartir, mais au final elle sont quand même mouillées.
Nous nous arrêteons à Bellver pour prendre un petit déjeuner et essayer de trouver une solution à mon problème de carte SIM Orange qui ne veut pas se connecter à internet. J'ai déjà passé deux coups de fil hier au service d'assistance en espagnol (c'était OK sauf à la fin où ils ont commencé à parler trop vite, et j'ai cru comprendre deux fois de suite qu'ils me demandaient d'enlever la batterie et d'attendre 30 minutes. Ce qui, bien sur, n'est pas une solution qui me convient). En fait, en utilisant un point d'accès Wifi gratuit, j'ai trouvé des forums qui expliquent qu'il faut changer le nom du point d'accès configuré par défaut. C'est étrange qu'une carte SIM ait besoin d'être configurée de la sorte... mais bon, ça marche et sur ces bonnes nouvelles nous quittons enfin Bellver.
Il neige encore et nous nous arrêtons à nouveau dans une boulangerie à la sortie de la ville pour prolonger un peu le petit déjeuner. Nous remarquons au passage que le prix du pain est bien plus élevé qu'en France.
Lorsque nous décidons de partir “ pour de vrai ”, il est déjà 12h et nous devons braver la neige. Avec des lunettes et un masque de ski. Avec le vent la neige tombe horizontalement. Et bien sûr nous avons le vent de face. Le ciel est une vrai soupe de blanc gris et lourd, diffusant les rayons du soleil d'une manière qui nous empêche de le localiser. Étant donné que le tunnel de Cadi est interdit aux vélos, nous devons à nouveau monter et descendre. Cette ascension doit nous amener jusqu'à 1777 m d'altitude, autrement dit un gain d'altitude de 700m. Ce n'est pas rien. La montée commence dans les environs de Alp et nous fait passer par le station de ski de La Molina. Elle se poursuit le long de la ligne de train Barcelone – Puigcerda.
Le ciel commence à se dégager et devient enfin plus bleu que gris. La faible densité des flocons de neige qui nous tombent dessus devient supportable et c'est un sentiment totalement différent qui nous habite désormais. Cela ressemble à une répétition de l'ascension du Port d’Envalira en Andorre, quand le ciel s'est éclairci pendant l'effort et contre toute attente. En haut de La Molina, nous sommes à 1700 mètres et les remontées mécaniques du domaine skiable sont en marche. Il n'y a pas trop de monde, mais assez de neige pour que les skieurs et snowboarders puissent s'amuser. Nous sommes un peu des extra terrestres avec nos vélos au milieu de tout ça. Comme nous pensons avoir bientôt atteint le col, nous craquons pour un des hamburger servis au restaurant.
Les panneaux d'indication sur la route portent à confusion : à chaque virage, Puigcerda est indiqué dans une direction différente. Nous suivons juste Ripoll, notre objectif du jour. Ça monte un peu plus haut que prévu, jusqu'à ce qu'on aperçoive un panneau indiquant "Col de la Creueta (1888 m) à 7 km”. Au dernières nouvelles le col devait être situé à 1777m, c'est ce que nous a dit Gonzalo quand il a vérifié hier soir. Et maintenant on fait quoi ? Et si au final on se retrouve à 2000m ou plus ? Ceci étant, nous n'avons pas d'autre choix que de continuer. Nous suivons toujours Ripoll et la route redescend légèrement après avoir atteint 1800 m. Ce n'est jamais très agréable quand la route redescend avant d'arriver à un col, car on l'impression d'un gaspillage d'efforts : il va falloir regagner l'altitude perdue, plus le reste. La route descend, descend encore et toujours, le long de la montagne. On a un peut l'impression de surfer, le paysage est très beau, mais la question qui reste en suspend nous empêche de réellement savourer le moment: quand allons nous atteindre ce col de 1888m ?
À un moment donné, on peut voir toute la vallée en face de nous. Sacré panorama. Beaucoup de neige et de verdure. Mais nous ne voyons aucune façon de sortir de cette vallée. C'est une voie sans issue. Il n'y a rien d'autre qu'un petit village tout au fond. Nous pouvons voir que la route descend légèrement et nous réalisons qu'il va falloir remonter tout ça d'ici la fin de la journée. Si on a le temps... étant donnée qu'il est déjà 16h. Bon, ça ne passera pas. Cyril doit prendre un train pour rentrer en France demain, donc nous ne pouvons pas rester coincés ici.
Pourtant, les cartes que nous avons consultées, sur Google Maps ou, parfois, sur les panneaux le long de la route, montrent que la route fait un virage à 90° à la fin de la vallée et se poursuit jusqu'à Ripoll sans trop de courbes. Ça n'a pas l'air de remonter mais c'est difficile à dire avec une carte sans niveau d'élévation. Une voiture s'arrête en montée et nous demande la route à suivre pour l'Andorre. Visiblement, ils se sentent perdus sur cette étrange route, même s'ils sont sur la bonne voie. Nous en profitons pour leur demander d'où ils viennent et comment se présente la route que nous devons suivre. Ils répondent que ça descend tout le temps jusqu'à Barcelone. Hmmm... on est super content, mais c'est difficile à croire quand on regarde la vallée.
Ce n'est qu'en atteignant la toute fin de la vallée que deux pics se dissocient lentement l'un de l'autre. Une petite ouverture apparait entre les deux et nous pouvons enfin voir par où la route se poursuit. Il y a effectivement un virage à 90° dans le village de Ribes de Freser et ensuite ça continue en descente ! C'est un gros soulagement et nous reprenons notre descente super longue. La pente est douce depuis que nous avons passé les 1800m et ça fait maintenant plus de 20 km que nous descendons parmi les courbes de ce paysage incroyable.
Toutefois, il fait presque nuit, et nous devons trouver un endroit pour camper. Nous avons essayé de descendre rapidement afin de récupérer quelques degrés de chaleur, mais c'est trop tard. Nous trouvons un abri juste à proximité de la route et y restons. Nos tentes, mises à sécher à l'extérieur, gèlent sur place. Nous bloquons la porte d'entrée avec un tonneau et des plaques de bois pour dormir au chaud. Il fait 2° C à l'intérieur.
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