Roy nous offre en cadeau de départ un gros sac alimentaire de l'ONU donné par les voisins. Ça à l'air très utile, avec plusieurs trucs emballés de façon indépendante. Nous pouvons poursuivre notre route vers le nord du Libéria jusqu'à la chaîne de montagnes de Nimba et la frontière ivoirienne.
Le long de la route, on croise tout un tas de panneaux qui renvoient une image du pays qui est bien pire que la réalité.
Avec la fin de la guerre civile pas si lointaine que ça, et quand on sait qu'il n'y a pas eu beaucoup de procès ni de réconciliations, n'importe quelle personne rencontrée au bord de la route pourrait être un ancien chef de guerre ou un rebelle armé. La rumeur veut que la plupart des jeune qui conduisent les motos-taxi de Monrovia sont des anciens enfants soldats. Certains chefs de guerre sont actuellement très haut placés dans l'administration et siègent au parlement.
La situation actuelle ne reflète pas clairement qui a pu faire quoi et je ne peux qu'imaginer. Alors que les libériens sont d'habitude pacifiques et polis, un homme à l'air pas commode nous a fait arrêter devant une échoppe au bord de la route. Il m'a fait penser au personnage de Jules dans le film Pulp Fiction, il n'arrêtait pas de jurer comme un charretier pour exprimer à quel point il se sentait bien ce jour là, et il nous a forcés à accepter... des bananes offertes en cadeau.
Les enfants nous appellent moins souvent “White man!” et plus “Kuipoo !“. “Kuipoo” désigne l'homme blanc en langue Gio, et “Kuiploo” en langue Mano, les deux groupes ethniques prépondérants au nord du Libéria. Je réponds “Kuiti” qui signifie peau noire.
La route est en cours de reconstruction par les chinois, il faut dire qu'elle en a vraiment besoin. C'est la principale liaison routière avec la Guinée et la Côte d'Ivoire.
Je trouve enfin du vin de palme sur un étal au bord de la route. J'en ai entendu parler plusieurs fois avant d'arriver au Libéria (apparemment c'est très populaire ici), mais je n'ai encore jamais eu la chance de l'essayer. Celui-ci est vendu 10$ le litre (0,10 €) dans une canette de bière Club. C'est très bon marché mais ça à le goût de limonade qui aurait été mélangée avec du vin blanc qui serait resté ouvert pendant une semaine. En plus, c'est chaud vu que les bouteilles sont exposées dehors, au soleil.
Nous arrivons à Ganta dans la soirée, et après de nombreuses discussions et beaucoup d'attente pour passe la nuit dans un collège, nous sommes finalement accueillis par les très sympathiques Randall et Amina, avec qui nous partageons de bons moments le soir et le matin, où nous repartons. Ganta est presque à la frontière avec la Guinée. Celle-ci est à seulement 3 km, plus loin derrière les premières collines. Le comté libérien de Nimba est coincé entre la Guinée francophone et la Côte d'Ivoire francophone, mais étant donné que les groupes ethniques de la région sont les mêmes (Gio et Mano), la communication est possible dans les langues vernaculaires. Les groupes mandingue/Malinké s'étendent au delà des fonrtières également.
Ganta reçoit l'électricité depuis la Côte d'Ivoire. Nous apercevons enfin des poteaux électriques (quelque chose de rare au Libéria en dehors de Monrovia et de la plantation Firestone) le long de la route. Randall nous dit qu'il suffit de les suivre pour atteindre la Côte d'Ivoire.
Je casse un rayon en quittant Ganta, ce qui n'était pas arrivé depuis longtemps. Le retard prit pour effectuer les réparations me fait passer sur un pont juste au moment où retentit un coup de sifflet en provenance d'un train.
Les chemin de fer Yekepa – Buchanan était utilisé par Lamco pour exporter le minerai de fer des Monts Nimba depuis Yekepa, la ville plus au nord du Libéria, jusqu'au port de Buchanan. Les activités minières ont été en suspendue pendant la guerre et ce n'est que récemment qu' Arcelor Mittal a reprit la mine. Ils ont restauré le chemin de fer et les trains sont à nouveau opérationnels. Je n'ai pas vu de logo Arcelor sur les pick-ups que je croise, mais par contre je vois beaucoup trop de pick-ups BHP Billiton (qui est responsable la partie guinéenne de l'exploitation du minerai de fer de Nimba) et de camions citerne Total.
J'ai caressé l'idée de pédaler jusqu'à Buchanan et de sauter dans un wagon de transport de minerai de fer vide jusqu'au nord du pays, mais j'ai laissé tombé après notre expérience infructueuse avec les chinois à la voie ferrée de Bong. En plus, c'est un chemin de fer privée, et contrairement au train mauritanien, bien connu pour emmener de passager gratuitement, il n'y a aucun signe laissant à penser que cette pratique à lieue ici. Le chef de train m'a adressé un sourire et un signe de la main, ça vaut peut-être le coup de se pointer à Buchanan un matin … Les rails ont l'air flambants neufs, les wagons ont l'air de contenir de la boue et je n'en vois aucun qui puisse accueillir des passagers.
Le Mont Nimba, ou plutôt le Mont Richard-Molard, se trouve à cheval sur la frontière entre le Liberia, la Côte d'Ivoire et la Guinée. Par conséquent, le minerai de fer de la montagne, parfois appelé le plus grand gisement au monde, est partagé par les trois pays. Le Libéria a son propre chemin de fer, la Guinée est en train de construire le sien jusqu'à son littoral (1000 km de chemins de fer pour contourner la Sierra Leone, au lieu d'une connexion de 15 km pour rejoindre Yekepa, afin d'être indépendant des Libériens) (c'est celui que j'ai vu un peu plus tôt), et la Côte d'Ivoire a des plans pour en construire un jusqu'à San Pedro.
La route n'est pas goudronnée, parfois rocheuse, parfois boueuse, et il fait chaud … Pas moyen de trouver à manger facilement alors je me rabat sur ma "ration de survie des Nations Unies”. Il s'agit d'une alimentation parfaite : emballé en Espagne, elle pèse 1,4 kg et contient un petit poêle avec du combustible en tablettes, des repas du midi ou du soir à manger chaud ou froid, un gâteau au chocolat, des sucreries, du café et thé, du sucre, des chewing-gums, de la poudre isotonique pour les boissons, des tablettes purifiantes pour l'eau,etc. Je mange un plat sans le réchauffer, et c'est délicieux quand même. Ce pack est parfait pour partir dans la brousse, il suffit d'ajouter de l'eau.
L'inconvénient est que, du fait de mon expertise en disparition de tout ce qui se mange, j'ai mangé le déjeuner et le dîner en 10 minutes. Je ne sais pas comment le pack est censé nourrir les soldats en action pendant une journée entière, mais il est définitivement trop petit pour une journée de cycliste !
Autour de Sanniquellie, la dernière grande ville du Libéria avant d'entrer en Côte d'Ivoire, nous croison plus de Ghanbatts que de Banbats. Les bataillons ghanéen de l'ONU remplacent ceux du Bangladesh.
C'est à Sanniquellie que les présidents du Liberia, du Ghana et de la Guinée se sont réunis en 1959 pour fonder l'OUA, remplacée en 2002 par l'UA (Union africaine).
Après Sanniquellie, une piste plus petite nous mène à Loguatuo, la frontière avec la Côte d'Ivoire. Nous suivons les poteaux électriques. C'est censé être la pire partie de l'itinéraire (étant donné que nous n'avons pas pris la légendaire mauvaise route légendaire de Harper) mais, heureusement, il n'y a pas de pluie aujourd'hui et la surface est sèche.
Une trentaine de kilomètres avant la frontière, nous faisons halte à Zorgowee pour la nuit et nous nous mettons à la recherche du commissaire. Nous attendons chez lui, mais il est occupé avec un conseil très important avec des visiteurs des villages voisins, alors son fils Obediah nous emmène chez lui.
Salma et son épouse nous invitent à dormir dans une pièce inutilisée. Cette dernière nuit au Libéria ne fait que confirmer l'immense hospitalité des Libériens. La lune est pleine, du coup nous prenons notre douche au seau en plein, à la lueur de l'astre lunaire et sous un surprenant ciel d'étoiles. Avec la saison des pluies et son ciel couvert en permanence, il a y avait bien longtemps que je n'avais pas vu d'étoiles.
Le matin, les gens marchent pour aller aux champs. Cela peut prendre jusqu'à une heure pour rejoindre les champ de riz ou de kassava, avec un coupe-coupe pour seul outil. Un homme voit mes gants de vélo et me montre les cloques sur sa main droite. Je ne souhaite pas donner mes gants de vélo et attraper des ampoules moi-même, mais comme j'ai perdu un gant en Guinée-Bissau et que j'ai acheté une nouvelle paire en Guinée (ce qui explique que mes gants aient changé de couleur), j'ai toujours un gant droit de rechange au fond de mes sacoches. Je lui ai donc donnée ce dernier et, dans un accès de joie, il s'est mis à défricher le jardin d'Obediah en demandant à ce que je prenne des photos.
La pluie commence à tomber faiblement au moment de notre départ vers la frontière, mais la surface de la route est plutôt compacte, du coup ça roule quand même bien.
Dans quasiment tous les gros villages, je trouve une Salle du Royaume des témoins de Jéhovah. Les poteaux électriques de Côte d'Ivoire sont toujours là, quoique reliés à aucune maison. La route après Khanplay est encore pire, mais pas boueuse heureusement.
Je m'arrête à Lapea pour faire le plein d'eau et je suis invité par Samson pour essayer la GB (djille bille), un autre truc dont j'ai souvent entendu parler et que je peux enfin tester avant de quitter le Libéria. C'est le plat préféré de Nimba. En fait, c'est juste une sorte de fufu (une pâte de kassava) avec une consistance différente. On mange ça avec une soupe de poisson et de peau de vache épicée. C'est sensé être MON expérience, mais ILS me l'ont volée: la vraie expérience, c'est le village qui me regarde qui est en train de la vivre. L'ensemble de la population, les adultes et les enfants, essayent d'obtenir une place vers la porte ou la fenêtre pour me regarder. Me regarder en train de manger du GB et de la peau de vache à l'air de les divertir mille fois plus que moi.
A Loguatuo, la sortie par la frontière se passe sans encombres. Dans l'ensemble, à part l'interprétation étrange du visa de 3 mois, tous les fonctionnaires que nous avons rencontrés au Libéria ont été courtois et honnête.
Cela s'arrête dès que nous traversons le pont pour la Côte d'Ivoire. Il y a 4 points de contrôle à la queue-leu-leu: la gendarmerie, la lutte contre la drogue, les vaccins et l'immigration. Les premiers demandent un cadeau mais nous esquivons cette étape assez facilement.
Le deuxième officier, qui représente l'unité de lutte contre la drogue, nous fait vider tout le contenu de nos sacoches. Je suis habitué à cela, c'est très ennuyeux et ça dure une heure. En général, quand l'agent voit que je déballe et que je remballe tout sans montrer un billet, il me laisse partir.
Celui-ci est différent. Il trouve nos trousses de premiers secours avec des comprimés contre la malaria et il les met de côté. Il affirme qu'il nous faut une ordonnance pour avoir cela, ce qui est faux: nous transportons uniquement des médicaments que n'importe qui peut acheter en pharmacie (enfin, ce n'est pas tout à fait vrai pour la Malarone, mais nous n'avons aucune prescription et l'agent n'a aucune idée de quels sont les médicaments qui exigent une ordonnance ou pas).
Il abuse clairement de son autorité en confisquant tous nos médicaments en déclarant que tout médicament exige une prescription en Côte d'Ivoire et que l'automédication est interdite. Il ne consent à nous laisser partir que si nous remplissons son formulaire et que nous abandonnons nos tablettes, à moins que nous ne “trouvions une solution”. Déterminés à ne pas verser de pot-de-vin et à ne pas abandonner nos précieux médicaments, nous passons plus d'une heure avec ce gars à discuter de tout et n'importe quoi. Il est têtu et maintient ses absurdités sur les règles concernant les médicaments en Côte d'Ivoire et nos seules armes sont l'humour et la patience.
Finalement, après avoir l'avoir menacé de dormir dans sa chambre si il nous garde plus longtemps, il nous laisse partir. Nous avons vu un couple de dames libériennes qui passait aussi par le même processus de lutte contre la drogue.
Agent : – Qu'est-ce que vous avez dans vos sacs ?
Dames :– Rien beaucoup... un peu de nourriture...(en montrant le contenu des sacs)
Agent : – OK. Vous connaissez le tarif? (sans même regarder à l'intérieur des sacs)
Quelqu'un de l'assistance, leur chuchotant la traduction: – c'est 1000 CFA
Et c'est comme ça que nous avons pu estimer le prix de cette heure perdue: 1000 CFA (1,5€).
Le checkpoint du vaccin avec la carte de la fièvre jaune se passe bien et le poste d'immigration aussi: les officiers tamponnent nos passeports sans même regarder notre visa …
Du début à la fin, le processus frontalier aura duré presque 3 heures (30 minutes seulement pour le Libéria), et nous n'avons plus le temps d'atteindre la première ville, Danané. Le secteur dans lequel nous sommes est marqué en rouge (“n'y allez dans aucunes circonstances”) sur les sites de conseils de voyage des gouvernements, en raison des combats avec les rebelles qui se déplacent le long de la frontière. Pourtant, la police de l'immigration libérienne nous a dit que la situation est calme ici maintenant (il y a encore des troubles dans le sud), et que nous sommes les premiers cyclistes à passer ici. La précédents ont été renvoyés et la frontière fermée.
Les gens nous appellent “ Kuipoo ” comme le peuple de Gio au Libéria. Le groupe de Yokuba vivant ici est de la même famille que les Gio. On remarque l'influence française dans les premiers villages, avec des choses qui n'apparaissent jamais dans les pays anglophones: des pubs our Orangina, Canalsat (dans des villages sans électricité, oui), l'utilisation du franc CFA, des vieilles dames qui nous demandent à manger et de l'argent, du français dans les journaux, l'absence de maîtrise de l'anglais au-delà de “Aoayou ?“, les gens qui disent “Bonsoir !” passé midi et “Bonne arrivée !” pour un accueil …
Officiellement, la Côte d'Ivoire a demandé à être appelée "Côte d’Ivoire" dans toutes les langues, mais peu de gens s'y conforme, en dehors de la presse francophone. Dans l'incapacité à rejoindre Danané avant la nuit, nous nous arrêtons dans deux villages avant que Samuel nous dirige vers une école près de sa maison. Après un peu de vélo dans la nuit, nous sommes accueillis à Blizreu et très bien traités avec du placaly (une sorte de fufu) et du koutoukou, l'alcool de canne à sucre, partagés avec Honoré le chef du village. Comme la coutume semble le dicter, les agents des services frontaliers ont rendu notre entrée en Côte d'Ivoire très douloureuse, mais les villageois ont restauré notre foi en l'humanité et l'hospitalité.
Grande enquête dans la campagne. Vos photos sont très claires et sont attrayants.
j’ai vraiment aimé votre expérience. mais je voudrais savoir sil y a des véhicules en commun pour entrer en cote d’ivoire comme vous l’avez fait à vélo?
Bonjour, j'ai vraiment apprécié vos photos dans les descriptions de la campagne libérienne. Je suis en train d'écrire un rapport sur le secteur minier au Libéria et je me demandais si je peux avoir la permission d'utiliser une de vos photos (celui la le train Arcelor Mittal).
Merci encore
Kayla